Les médias sont omniprésents. Il existe des centaines de milliers de médias traditionnels (radio, télévision et presse écrite) à travers le monde. En 2010, la Russie comptait à elle seule 35 000 journaux enregistrés, et environ 10 000 stations de radio et de télévision en 2004[i]. La croissance d’Internet, de la transmission par satellite et des services de téléphonie mobile ont permis de mesurer la véritable ampleur de la prolifération des médias. En outre, les nouveaux médias, tels que les blogs, Twitter, Facebook par exemple, ont ajouté une nouvelle dimension au paysage médiatique actuel, désormais accessible à bien plus de personnes.
En cette ère de diversité et d’accessibilité des médias, il semble donc manifeste que nous vivons dans un « village planétaire », à savoir une société d’information unique et uniforme. Cependant, l’accès à l’information pour le grand public – et pour les électeurs en particulier – diffère considérablement selon les contextes nationaux et infranationaux. Partout dans le monde, différents aspects tels que la politique (actuelle et passée), l’éducation aux médias, l’accès à l’électricité, la richesse, la situation géographique et la culture contribuent à la multitude des paysages médiatiques nationaux. La nature du paysage médiatique détermine largement les différents aspects du rôle des médias dans une élection. Ces aspects comprennent notamment la portée et les orientations politiques du débat, ainsi que la propension à en définir les termes.
La cartographie médiatique est importante pour la plupart des acteurs des élections, car elle permet de comprendre quels sont les médias disponibles, leurs forces et faiblesses, et qui y a accès. Dans un pays donné, pour qu’un exercice de cartographie médiatique soit précis, il ne doit pas seulement étudier les médias locaux, mais tenter au minimum de rendre compte de la vaste gamme de moyens d’information émanant des sources internationales. Une étude de la présence et de la couverture des médias est également insuffisante. Par ailleurs, une analyse appropriée doit également tenir compte de l’impact sur les dynamiques d’un paysage médiatique de caractéristiques telles que la propriété, la richesse, les antécédents politiques, le cadre législatif et la culture. Pour mettre en œuvre des élections démocratiques, il est particulièrement important de parfaitement comprendre les multiples niveaux et nuances du paysage médiatique. Selon un analyste, « […] l’accès à des informations précises et objectives est plus que jamais primordial pour qu’une démocratie saine puisse prospérer. Cet accès est essentiel pour améliorer les conditions de confiance des citoyens, des médias, et de l’État, et pour mettre en œuvre et maintenir l’agenda de la gouvernance. »[ii]
Par ailleurs, la richesse et la prospérité économique influent de façon décisive sur les paysages médiatiques, à la fois en termes de propriété et de portée des médias. Par exemple, dans une région où les possibilités de générer des revenus de publicité sont moindres, on constate souvent une pénurie de médias locaux indépendants, sauf si des fonds proviennent directement de sources externes, par exemple de riches particuliers ou de donateurs. Généralement, les médias indépendants (privés) sont concentrés autour des zones urbaines et leur influence est minime ou nulle au-delà de ces zones. Bien qu’elles soient de plus en plus rares, il existe encore des régions du monde où le seul média national disponible en milieu rural appartient à l’État ou au gouvernement. L’expression « fracture numérique » a été créée pour désigner les inégalités d’accès aux médias modernes au sein de la population.
Partout dans le monde, à l’exception des pays les plus pauvres, les médias se retrouvent de plus en plus sous le contrôle de groupes médiatiques multinationaux. L’accès à ces multinationales est également en hausse, souvent en dépit des questions économiques. En Afghanistan par exemple, l’accès aux médias de radiodiffusion se limitait avant 2002 à un réseau de radios appartement à l’État, à l’exception d’une kyrielle de stations de radio AM multinationales, telles que la BBC et La voix de l’Amérique (VOA). Au cours des dix années qui ont suivi, le paysage a radicalement changé, avec l’essor de radiodiffuseurs nationaux indépendants et privés. Pourtant, même dans les régions où les médias nationaux sont peu présents, l’accès aux médias multinationaux par satellite a modifié, à des degrés divers, l’accès à l’information.
La richesse n’est cependant pas le seul facteur déterminant du schéma de présence des médias. Les traditions politiques et culturelles jouent également un rôle fondamental. La majeure partie des pays européens, par exemple, ont une forte tradition de propriété publique ou étatique des médias. La France n’a légalisé les médias privés que dans les années 1980. Aussi, il n’est pas surprenant que les pays dont l’histoire a été marquée par un pouvoir militaire ou un système à parti unique aient développé une tradition de contrôle étatique des médias. Dans les années 1960 et 1970, les médias privés d’Amérique latine étaient souvent associés à des dictatures militaires. Le contexte médiatique historique d’un pays influe sur la propension des auditeurs à faire confiance aux médias, ce qui exerce un impact sur l’écoute/le lectorat. Cela peut donc favoriser ou décourager le développement de certains types de médias.

Il existe une autre dimension critique de l’environnement médiatique : la force des traditions, le cadre législatif de la liberté d’expression et le respect de cette liberté d’expression. De préférence, les médias opèrent dans un contexte où la liberté d’expression et le droit d’accès à l’information jouissent d’une importante protection constitutionnelle et législative. Par exemple, le niveau d’équité et de transparence dans l’allocation des fréquences de radiodiffusion a souvent une influence notable sur la manière dont les médias s’acquittent de leurs responsabilités durant la période électorale. De même, des antécédents de censure et d’intimidation physique des médias feront probablement peser une menace constante sur les journalistes et leur direction durant la couverture des élections.
Par ailleurs, l’accès aux médias internationaux peut être grandement affecté par les politiques juridiques d’un pays. Le gouvernement nord-coréen, par exemple, est parvenu à rester presque totalement isolé sur la scène médiatique internationale. Il n’existe actuellement (2012) aucun réseau de données haut débit dans le pays et les récepteurs Internet par satellite ne sont pas autorisés, sauf dans des circonstances extrêmement contrôlées ou pour un usage par le gouvernement ou les élites.
Les pays jouissant d’une certaine prospérité économique et d’une longue tradition de pluralisme, de liberté et d’indépendance ont pu développer des médias divers et stables. Les normes professionnelles peuvent également être plus élevées (encore que le piètre niveau d’éthique de certains médias dans les démocraties avancées montre que la corrélation n’est pas forcément parfaite). Plus important encore, l’association des influences et des antécédents définit le degré d’efficacité et d’équité des médias dans la couverture d’une élection.
Comprendre le paysage médiatique d’un pays donné nécessite également de comprendre comment les gens utilisent les médias. Outre la disponibilité des médias, d’autres facteurs interviennent, tels que les préférences personnelles, le lieu de travail et les habitudes professionnelles, la confiance globale dans les sources d’information ainsi que l’éducation aux médias généraux. Deux brefs exemples provenant de pays en développement montrent que la façon dont les gens obtiennent l’information est très variable. Une étude menée par Altai en 2010 en Afghanistan a révélé que seulement 13 % de la population obtenait ses informations de la presse écrite. Ce faible pourcentage résultait des niveaux d’alphabétisation et d’accès[iii]. Une étude réalisée en 2012 au Nigeria a observé une utilisation globalement identique de la radio dans les zones rurales et urbaines. Elle a par ailleurs indiqué que 4 répondants sur 10 avaient précisé avoir écouté la radio sur leur téléphone mobile au cours de la semaine précédant l’enquête, mais qu’un nombre plus important de citadins avaient regardé la télévision au cours d’une semaine donnée par rapport aux résidents des zones rurales[iv]. Ces différences permettent de distinguer les schémas d’utilisation des médias selon le pays et ont un impact sur leur utilisation pendant les élections. En plus des médias électroniques et la presse écrite, et dans certains cas en remplacement de ces derniers, la communication directe et personnelle reste très importante dans les campagnes et les processus électoraux.
Pourtant, même dans ces cas précis, les médias jouent encore un rôle important dans la communication des informations politiques. Même dans des communautés rurales qui n’ont pas accès direct aux médias indépendants, les informations générées par la presse circulent parmi le grand public et finissent parfois par atteindre les électeurs ruraux. Les « gardiens de l’information » peuvent eux-mêmes s’appuyer sur les médias comme source d’informations et transmettront donc ce qu’ils glanent dans la presse. Ainsi, même lorsque le bouche-à-oreille est la principale source d’informations politiques, les médias contribuent grandement à la masse d’informations en circulation.
Toutefois, l’analyse de l’audience est souvent rapidement obsolète, car les préférences et l’accès évoluent très rapidement dans l’environnement médiatique actuel. Une étude réalisée par le Pew Research Center aux États-Unis en 2008 a par exemple observé que la consommation d’informations sur Internet avait presque doublé en une seule année, passant de 24 % à 40 %[v].
La consommation générale d’informations ne se traduit pas de façon nette par une consommation d’informations liée aux élections. Par exemple, un rapport publié en 2006 examinant la réaction d’un large public et son intérêt pour les publicités de campagnes politiques a montré que la « publicité politique est la forme la plus critiquée de communication politique. »[vi]
Malgré la faible popularité de la publicité politique, certains éléments semblent indiquer que la population se tourne vers des médias spécifiques pour les informations générales relatives aux élections. L’impact des médias sociaux sur les choix des électeurs constitue le domaine d’intérêt le plus récent faisant l’objet de recherches intensives. Une étude a révélé que sur les 82 % d’adultes américains qui utilisent les médias sociaux, 51 % y auront recours pour en savoir plus sur les candidats aux élections présidentielles américaines en 2012[vii]. Bien sûr, il est néanmoins difficile d’évaluer dans quelle mesure ces « connaissances » modifient effectivement les choix de vote.
[i] « Media Landscape: Russia », European Journalism Centre, consulté le 8 août 2012, http://www.http://ejc.net/media_landscapes/russia[AU1]
[ii] Johanna Martinsson, The Role of Media Literacy in the Governance Reform Agenda, (Washington DC : Banque internationale pour la reconstruction et le développement/Banque mondiale, 2009), p. 3
[iii] « Afghan Media in 2010, A Synthesis », rapport d’Altai Consulting (financé par USAID), (2010), p. 101 et 102
[iv]« Nigeria Media Use 2012 » Gallup and Broadcasting Board of Governors, consulté le 23 août 2012, www.bbg.gov/wp-content/media/2012/08/gallup-nigeria-brief.pdf
[v] « Internet Overtakes Newspapers as News Outlet » The Pew Research Center, 23 décembre 2008, http://www.people-press.org/2008/12/23/internet-overtakes-newspapers-as-news-outlet/
[vi] Margaret Scammell Political advertising: Why is it so boring? (version en ligne de 2007), p. 4 et 5, consulté le 13 août 2012, http://eprints.lse.ac.uk/2540
[vii] « Get on Twitter and Facebook, or Get Out of the Race; New Digitas Study Finds Six in Ten Social Media Users Expect Candidates to Have a Social Media Presence » PR Newswire, 31 octobre 2012, http://www.prnewswire.com/news-releases/get-on-twitter-and-facebook-or-get-out-of-the-race-132939343.html
[AU1]The source link does not work so I provided another one (that I assume refers to the same article)
Image:
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