Un pays en cours de transition vers un système démocratique doit formuler sa propre stratégie électorale, qui se situe souvent entre deux options extrêmes.
Stratégie radicale
La solution la plus radicale peut être justifiée de par l'importance du processus même de rédaction de sa loi électorale et de l'impact de ce processus sur le degré d'acceptation dont jouira cette loi de même que le nouveau système électoral. On engagera un dialogue entre tous les intervenants politiques afin d'atteindre le plus large consensus possible. C'est l'approche adoptée par l'International Foundation for Election Systems (IFES) dans son étude des processus de transition en Afrique dans les années 1990.
Cette étude arrive à la conclusion que le processus a été satisfaisant dans les pays comme le Mozambique (voir La réforme et le processus électoral au Mozambique), la Guinée-Bissau et le Sénégal qui ont mis sur pied des commissions multipartites pour rédiger leur loi électorale. Elle démontre qu'un haut degré de consensus s'impose pour enclencher le processus électoral en transition démocratique.
Il faut cependant examiner cette approche plus en détail, surtout dans le contexte des premières élections qui suivent la transition, parce que ce choix comporte au moins deux inconvénients.
- D'abord, cette stratégie peut contribuer à prolonger pour une période injustifiable les pouvoirs temporaires des autorités provisoires, miner leur légitimité et porter atteinte au bon fonctionnement du nouveau régime.
- Deuxièmement, la loi rédigée ainsi peut faire naître une illusion de représentativité, ce qui survient fréquemment en période de transition. Si les intervenants qui prennent les premières initiatives ne reçoivent pas, aux élections subséquentes, un degré d'acceptation proportionnel au rôle qu'ils ont joué, l'élément de représentativité de la loi électorale peut effectivement être perçu comme étant absent vu que son application n'a pas garanti une représentation adéquate des partis qui ont collaboré à la formuler.
Stratégie modérée
L'autre option est celle qu'on peut qualifier de stratégie modérée, en vertu de laquelle le gouvernement qui préfère éviter le long processus que requiert la rédaction d'une loi électorale faisant l'obet d'un haut degré de consensus entre les intervenants, choisit plutôt de modifier les dispositions de la loi déjà existante qui définissait un système unipartite. Dans ces cas, la tâche est souvent confiée à une commission d'experts parfois appuyée d'experts internationaux. Cependant, cette stratégie comporte également des inconvénients.
- Il existe divers exemples de réformes insuffisantes ou contradictoires sur le plan interne au cours desquelles on a omis de modifier certaines dispositions de l'ancien système dont le caractère totalitaire était moins évident. De tels problèmes ont été signalés sur le continent africain, surtout au Kenya et au Gabon.
- L'illustration la plus évidente des inconvénients de la stratégie modérée est celle de la loi électorale du 18 novembre 1993 en Ukraine (voir Le processus inadéquat de réforme de la loi électorale en Ukraine ). Cette loi a conservé plusieurs des dispositions de la loi soviétique précédente auxquelles on a attribué l'impossibilité pour la Rada d'obtenir les 32 sièges manquant pour lui permettre d'obtenir les 450 sièges requis, en dépit des quatre élections consécutives tenues entre le 27 mars 1994 et le 10 décembre 1995. La loi déclarait nulle l'élection dans toute circonscription où moins de 50 % des électeurs inscrits avaient voté ou dans laquelle le candidat gagnant avait obtenu moins de 25 % des votes. Ces dispositions ont été abrogées de la loi à la suggestion d'IFES, qui a même agi à titre de médiateur lors de la réforme constitutionnelle du 28 juin 1996. Il s'est avéré évident que l'oubli des rédacteurs législatifs du fait qu'il est difficile d'atteindre la même participation électorale dans un système démocratique que dans un système totalitaire, avait contribué à des résultats clairement inacceptables en dotant la nouvelle loi électorale de l'Ukraine de certains principes de la loi électorale soviétique.
- Un autre exemple de réforme électorale insuffisante est le cas du Chili (voir La réforme consititutionnelle et électorale au Chili), où Pinochet a élaboré une stratégie selon laquelle son influence et son pouvoir se prolongeraient même à l'intérieur du système démocratique.
- Finalement, la plupart des réformes électorales semblent faire l'objet d'une certaine résistance inhérente qui rend difficile toute réforme en profondeur. L'Ukraine est encore un exemple de ce phénomène : sa réforme, bien que nécessaire, n'a atteint une légitimité politique que par le truchement d'une réforme constitutionnelle qui elle-même s'est avérée légalement insuffisante.
Les caractéristiques universelles des lois électorales qu'on vient d'énumérer nous amènent à énoncer une troisième stratégie afin de rendre compatibles les avantages des deux premières. Il s'agit d'une stratégie synthétique selon laquelle le gouvernement rédige une loi provisionnelle qui servira exclusivement pour les premières élections. Cette loi provisionnelle comporte une disposition spécifique confiant le mandat au parlement qui y sera élu de rédiger une nouvelle loi électorale. L'Afrique (en particulier le Burundi) de même que les pays démocratiques du sud de l'Europe sont des exemples de cette stratégie. Le cas de l'Espagne est particulièrement intéressant (voir La réforme du système électoral en Espagne) : les éléments essentiels de la loi de transition que le gouvernement a adopté en mars 1977 aux fins de l'élection du premier parlement démocratique, qui a suivi le décès du dictateur Franco, ont été littéralement intégrés dans la Constitution qui établi le système électoral dans son Principe fondamental.
En terminant, il convient de signaler la situation qui survient dans les pays où le processus de transition au système démocratique ne se fait que lentement à travers plusieurs élections au cours desquelles s'introduisent des éléments pluralistes qui sont graduellement intégrés dans la loi électorale elle-même.
Cette stratégie graduelle qu'on peut observer au Maroc et en Tanzanie découle inévitablement d'un certain dialogue et d'un engagement plus ou moins explicite des partis au pouvoir et ceux de l'opposition. Plus l'engagement est explicite, plus chacune des réformes reflètera un engagement à la transition.
On peut également inclure dans cette catégorie le Mexique (voir La réforme électorale au Mexique), qui a entrepris une réforme électorale en profondeur mais graduelle depuis le début des années 1990.