Actes réglementaires
En abordant la structure législative d'un processus électoral, on doit d'abord tenir compte du fait que diverses formes d'actes juridiques de législation électorale gouvernent ensemble l'organisation et la tenue d'élections :
- la Constitution;
- la loi électorale;
- les règlements additionnels qui peuvent ne pas être législatifs mais qui peuvent être prescrits soit par les instances supérieures de l'État ou par les instances qui forment l'organisme électoral;
- les codes de conduites explicites ou implicites adoptés par les concurrents et qui émanent des règles sociales et légales généralement acceptées que l'organisme électoral ou même les organisations internationales d'assistance électorale peuvent promouvoir à l'occasion.
Ces quatre catégories d'instruments forment l'ensemble du cadre législatif complexe requis pour le déroulement d'élections démocratiques. Il doit de plus exister une corrélation entre ces catégories pour assurer que les vides législatifs de l'une soient remplis par une autre, mais pas nécessairement ni uniquement par celle qui est directement inférieure. Ainsi, tout système électoral devient autosuffisant lorsque ses composantes prévoient toute la réglementation requise.
Une étude empirique démontre la nécessité des caractéristiques suivantes de la réglementation législative de tout système électoral.
Caractéristiques générales de la réglementation législative des systèmes électoraux
Dans les pays où la démocratie est bien établie, la Constitution comporte moins de dispositions touchant les règlements électoraux que dans les pays où la démocratie est récente. On peut donc parler d'un continuum où, à une extrémité, la Constitution proclame uniquement que le suffrage est universel, libre, égal et secret et laisse le reste de la réglementation à la loi électorale. À l'autre extrémité, la Constitution énonce les divers éléments du système électoral, ses principaux processus et d'autres aspects comme l'établissement du registre des électeurs et la création d'organismes chargés du contrôle ou de l'administration des élections, ou des deux.
Le principal acte de réglementation demeure toutefois la loi électorale qui énonce les dispositions législatives adoptées par le Parlement comme représentant de la volonté du peuple. La tendance veut que non seulement la loi électorale fasse l'objet de l'assentiment de tous les partis au Parlement, mais aussi qu'elle soit approuvée par une forte majorité d'élus compétents. Toute loi électorale doit jouir de l'approbation tacite ou formelle de tous les intervenants politiques en place, sans quoi elle deviendrait l'objet de discussions politiques alors qu'elle devrait plutôt être une législation acceptée et incontestée permettant d'accéder au pouvoir ou de le conserver. Une loi électorale qui fait l'objet de controverse manquera de stabilité. Précisément parce que seule une loi qui jouit d'un fort consensus a des chances de survie, il devient très difficile de la modifier en profondeur pour des raisons sociologiques, politiques et légales.
Il semble également exister un accord général voulant que la loi, expression de la volonté populaire au Parlement, régisse pratiquement tous les aspects imaginables du processus électoral plutôt que de compter sur des règlements pour combler les vides. Les lois électorales sont longues, complexes et détaillées à un point que l'on constate rarement dans les autres domaines, ce qui présente deux inconvénients :
- les lois sont parfois extrêmement rigides et ne sont pas pratiques pour administrer un processus qui comporte autant d'inattendus que d'élections. Une législation dont la moindre adaptation nécessite des modifications législatives complexes n'est pas efficace.
- il n'est pas facile pour le simple citoyen d'interpréter les lois qu'il est tenu de respecter. La mise en application des lois devient donc la responsabilité des administrateurs électoraux soit en tant que fonctionnaires de l'État ou en tant que membres des partis politiques. Pour toute loi électorale, il en résulte une situation plutôt paradoxale qui démontre une tension profonde entre démocratie directe et démocratie représentative : d'une part, la loi se doit d'être exhaustive et d'énoncer les moindres détails afin de refléter la volonté populaire et non les intérêts du parti politique au pouvoir. D'autre part et à cause de cette caractéristique, la même loi devient difficilement accessible pour les citoyens qui doivent tous sans exception la mettre en pratique, en une seule journée.
Il n'est ni réaliste ni pratique pour une organisation efficace du processus électoral de penser que la loi électorale puisse réglementer toutes les activités opérationnelles que comporte le processus électoral. Une série de règlements administratifs complémentaires touchant les détails de ces activités opérationnelles est donc essentielle.
Il reste que là où la responsabilité de la réglementation administrative est laissée au pouvoir exécutif, on observe une méfiance générale, plus particulièrement dans les pays où la démocratie n'est pas établie. Il existe deux solutions différentes pour régler ce problème :
- la solution la plus radicale consiste à confier cette responsabilité à un organisme électoral distinct qui ne relève d'aucun des pouvoirs d'État (ce qui ne serait pas en accord avec la théorie classique de Montesquieu de distribution des pouvoirs, et davantage encore si ces pouvoirs sont attribués par la Constitution), mais qui jouit plutôt d'un statut quasi parlementaire;
- une solution moins radicale est que la réglementation provienne du pouvoir exécutif mais qu'elle fasse l'objet de vérification par les organismes électoraux, soit au préalable ou ultérieurement. C'est une pratique qui se prête surtout aux démocraties établies et qui respecte davantage le principe de distribution des pouvoirs et les rôles respectifs de l'exécutif et du judiciaire.
Le processus de réglementation se complète finalement par les codes de conduite.
Codes de conduite
Dans un sens large, on peut affirmer qu'aucun système électoral ne peut fonctionner sans l'existence d'un code de conduite implicite entre les partis politiques, garantissant par exemple que les résultats de l'élection seront acceptés et que certaines règles du jeu seront respectées, y compris des règles de campagne électorale comme celle d'éviter certains sujets ou certaines formes de propagande.
Dans un sens plus restreint et techniquement plus juste, un code de conduite doit être interprété comme une série de règles de comportement des concurrents politiques, acceptées publiquement et s'appliquant à un processus électoral donné. Ces règles ont souvent l'effet de combler les vides législatifs présents dans les autres éléments de la législation. Elles n'existent qu'à titre strictement provisoire et touchent spécifiquement le processus électoral pour lequel elles sont énoncées.
Les codes de conduite n'existent pas exclusivement dans les pays en voie de démocratisation. Il existe des exemples importants de codes de conduite implicites dans des pays démocratiquement bien établis. C'est le cas par exemple quand certains sujets relatifs au patrimoine national sont exclus des débats partisans, en vertu d'une déclaration formelle en ce sens.
Même si nous aborderons ailleurs la question du problème que suscitent leur nature légale et leur caractère indiscutable, on peut affirmer que les codes de conduite sont plutôt de vrais règlements si l'on considère que leurs opposants les énoncent formellement et les soumettent à l'arbitrage d'organismes internationaux ou plus souvent d'un organisme électoral chargé de régler les litiges reliés à leur application.
Principes de structuration de la réglementation électorale
Cette série d'actes législatifs, soit la Constitution, la loi électorale, les règlements administratifs et les codes de conduite, constitue la structure législative du processus électoral. La répartition des sujets dont chacun de ces mécanismes traitera dépend en grande partie de facteurs non législatifs qui relèvent de l'histoire et de la science politique. Il n'est pas facile de catégoriser la répartition ni d'en établir les règles. Du point de vue strictement légal, on peut toutefois considérer trois principes pouvant aider à établir la structure de la réglementation électorale d'un pays donné.
En premier lieu, certaines règles doivent être énoncées dans la Constitution elle-même, soit celles touchant le suffrage actif et passif et tout probablement une définition générique de certains éléments du système électoral. Il ne faudrait toutefois pas freiner l'émancipation de la réglementation électorale en enchâssant ses moindres détails dans la Constitution, ce qui ne la rendrait pas plus efficace ou plus adéquate, au contraire.
Deuxièmement, l'élément majeur de la réglementation demeure toujours la loi électorale, qui ne doit être adoptée qu'après avoir reçu l'accord de tous et qui doit être relativement permanente. D'un point de vue technique ou légal toutefois, il convient de faire une distinction entre deux séries de sujets qui doivent être traités de façon différente.
- D'une part, les règlements régissant le système électoral et les aspects essentiels de son processus, représentant les principaux enjeux juridiques et politiques, devraient faire l'objet d'un consensus au-delà de la simple majorité parlementaire.
- D'autre part, certains sujets ne requièrent pas un aussi haut degré de consensus et doivent pouvoir être adaptés à de nouvelles circonstances ou encore à certaines exigences territoriales, bien qu'ils doivent aussi faire l'objet d'une certaine réglementation.
En dernier lieu, la réglementation administrative qui complète et adapte les règles générales aux circonstances spécifiques de chaque processus est inévitable et doit être énoncée par l'organisme chargé d'administrer le processus. Si l'organisme électoral n'est chargé que du contrôle du processus, une de ses responsabilités devrait être de s'assurer que l'application de la loi est renvoyée au pouvoir exécutif. Comme l'intervention du pouvoir judiciaire devrait être prévu, les organismes chargés de le contrôler devraient être consultés avant l'adoption des règlements concernés.