D'après le président de la commission électorale de l'Inde, les élections générales tenues dans ce pays le 5 juin 1996 invitaient 590 millions d'électeurs à se présenter dans 825 000 bureaux de vote sur une période de 7 jours. Les électeurs avaient à choisir entre, en moyenne, 26 différents candidats mais une circonscription en comptait 460. Pour assurer l'intégrité de ces élections, on a recruté plus de cinq millions de préposés au vote et mobilisé plus de deux millions de policiers. Les résultats définitifs ont été disponibles en quatre jours et le pourcentage de votes annulés n'a été que de 0,24 %, ce qui est plus qu'acceptable. Le coût total de toutes ces activités s'est élevé à environ 200 millions de dollars américains.
Bien que l'organisation d'élections n'atteigne pas souvent de telles proportions, ce n'en est pas moins toujours une opération compliquée et délicate pour laquelle l'organisme électoral se doit de pouvoir prendre tous les moyens pour que tous les citoyens aient une réelle occasion de voter, à une date prédéterminée, selon des procédures faciles à comprendre et dans des conditions qui assurent la liberté de vote. À cette fin, il faut suivre les étapes suivantes.
Établissement d'une carte électorale
L'emplacement des bureaux de vote doit être précisé dans chaque circonscription. Pour accomplir ceci, on peut adopter les critères suivants.
- La répartition doit être établie à l'avance et rendue publique afin que tous les citoyens qui participent au processus électoral sachent d'avance où ils doivent aller voter. À cet égard, il est sage de garder à leur minimum les variations d'une élection à l'autre.
- La délimitation devrait se faire à partir de critères géographiques de sorte que l'endroit où l'électeur ira voter soit situé le plus près possible de sa résidence. Il est fortement déconseillé de répartir les électeurs selon d'autres critères (comme l'usage d'une liste alphabétique par noms) car les électeurs devront alors couvrir de longues distances pour trouver leur bureau de vote.
- Les sections de vote devraient comprendre un nombre minimal d'électeurs pour assurer le secret du vote sans pour autant être trop élevé, afin de permettre d'accomplir une tâche quand même complexe dans un minimum de temps. Il serait difficile d'établir des règles générales et il est préférable de prendre en considération la situation géographique, le degré de développement des réseaux de communications du pays, etc. Néanmoins, on peut juger raisonnable que le nombre d'électeurs par bureau de vote soit fixé entre 300 et 1 500. Il pourrait s'avérer nécessaire d'utiliser, en prenant des mesures de sécurité appropriées, des bureaux de vote mobiles pour recevoir le vote des électeurs et ensuite le transporter à un endroit approprié pour le dépouillement.
- Les bureaux de vote devraient occuper des endroits qui, en plus d'être accessibles, favorisent la liberté de choix dans un contexte idéologiquement neutre. Il faudrait éviter d'établir des bureaux de vote dans des endroits comme les postes de police, les installations militaires, les bureaux de partis politiques ou de groupes religieux, ou même dans des édifices du gouvernement, surtout en période de transition politique. Par contre, l'utilisation d'écoles comme centres de vote est fort acceptable et très répandue.
- Il faut enfin préciser qui a droit d'accès aux bureaux de vote afin d'éviter la présence de personnes qui n'ont aucune fonction officielle et qui pourraient nuire au processus. En général, les procédures électorales accordent au responsable du bureau de vote le pouvoir de décider qui a droit d'être sur place durant le vote, et de faire appel à la police si nécessaire.
Le personnel des bureaux de vote
Les bureaux de vote sont l'outil le plus important d'une élection réussie. C'est dans ces endroits que le vote du citoyen est contrôlé, que le dépouillement préliminaire se fait et que les documents sont préparés pour le compte officiel par les autorités compétentes. C'est là que se déroulent les activités principales du processus électoral. Le personnel des bureaux de vote identifie ceux qui ont le droit de vote et quels votes sont valides et, très souvent, décident des résultats. Leurs décisions sont souvent sans appel.
Une dotation adéquate des bureaux de vote est par conséquent essentielle. Il faut porter une attention toute particulière à l'indépendance du personnel, tant face au gouvernement qu'aux partis politiques. À cette fin, il est préférable qu'ils soient des citoyens du pays, choisis à partir d'un tirage au sort et que leurs services soient obligatoires. Si une telle approche est respectée, elle assure leur indépendance absolue face au pouvoir et aux candidats et la possibilité de fraude est en grande partie écartée. Le seul désavantage de cette méthode peut être le manque de connaissances légales des personnes nommées, une conséquence inévitable du fait qu'elles ne sont pas des professionnels. Plusieurs façons permettent de surmonter ce problème.
- Tout d'abord, la réglementation électorale exige souvent une formation particulière pour avoir accès aux postes de préposés aux bureaux de vote, et en particulier aux postes de responsables de ces bureaux. Seuls ceux qui satisfont à ces critères peuvent alors participer au tirage au sort des noms de ceux qui occuperont ces postes.
- À peu près toutes les réglementations électorales prévoient une certaine formation des préposés des bureaux de vote, soit par des cours ou en leur fournissant des instructions détaillées sous forme de manuels. Ceci leur enseigne comment ils doivent remplir leurs tâches et régler les différents problèmes qui pourraient surgir le jour du vote.
- Dans certains pays de l'Europe du nord, le système est légèrement différent en ce sens que bien que les préposés soient choisis par un tirage au sort, les responsables sont des officiers municipaux qui sont en place pour toutes les élections. Ceci est probablement le meilleur système possible en ce qu'il marie l'indépendance politique et le professionnalisme. Cependant, ce modèle est particulier à des démocraties très solides et est par conséquent très difficile à imiter.
Cette dernière approche est absolument compatible avec le fait que, dans la majorité des systèmes où elle est utilisée, on accorde aux partis politiques et, règle générale, à toutes les forces politiques qui ont des candidats, la possibilité de nommer des représentants à tous les bureaux de vote.
Les représentants peuvent donner leur opinion à toutes les étapes mais n'ont aucun pouvoir décisionnel. En somme, de par l'équilibre qu'ils apportent aux points de vue politiques, ils aident beaucoup à assurer l'intégrité des élections et sont un bon complément au choix par tirage au sort des préposés.
Il ne faut pas confondre la présence de représentants politiques dans les bureaux de vote avec les observateurs électoraux locaux ou internationaux (voir Observation du vote), en ce sens que le concept de chacun de ces rôles est très différent.
Les opérations de vote
Les procédures qui régissent le vote et le dépouillement dans les bureaux de vote sont très précises et sont communes à toutes les réglementations. Elles visent à prévoir toutes les situations et, dans la mesure du possible, à émettre des directives claires et précises aux milliers de préposés qui doivent les mettre en oeuvre.
Cependant, il faut s'assurer que le citoyen ordinaire comprenne clairement ces procédures, car les expériences ont prouvé qu'une réglementation électorale compliquée ou du matériel mal conçu causent inévitablement un haut taux d'abstention et de bulletins de vote laissés en blanc.
Comme l'a démontré l'expérience du Pérou en 1995, un système très complexe de vote préférentiel et des bulletins de vote mal conçus ont fait que les élections à l'Assemblée nationale ont subi un taux d'abstention supérieur de 10 %, et un taux de bulletins laissés blancs supérieur de 30 % aux taux correspondants lors des élections présidentielles tenues le même jour.
Les étapes les plus importantes d'un processus de vote sont les suivantes.
S'assurer que l'électeur peut exercer son droit de vote parce qu'il a pu s'identifier, que son nom apparaît sur la liste des électeurs du bureau de vote et qu'il n'a pas déjà voté. En principe, le responsable du bureau de vote décide qui peut ou ne peut pas voter. Cependant, dans plusieurs systèmes dont ceux de l'Australie et de la Guyane, des personnes ayant de la difficulté à s'identifier peuvent voter par le biais de votes provisoires. Il s'agit de bulletins de vote qui sont provisoirement acceptés et comptés séparément, laissant la décision quant à leur validité à une étape subséquente. Ils ont le double avantage de ne pas retarder le processus en remettant la décision à une autorité supérieure et d'empêcher que quelqu'un soit privé de son droit de vote, tout en assurant que le vote en question ne sera compté que s'il est effectivement acceptable.
Le geste physique de voter. Le vote est personnel et secret et c'est pourquoi plusieurs lois électorales exigent que chaque électeur dépose son propre vote personnellement. Cependant, plusieurs lois prévoient que certaines catégories d'électeurs, comme ceux qui sont physiquement désavantagés ou illettrés, peuvent recevoir de l'aide d'une personne de confiance.
Toutes les lois exigent la présence d'isoloirs pour assurer le secret du vote.
Les responsables du bureau de vote prennent les mesures nécessaires pour s'assurer que les électeurs ne puissent voter qu'une seule fois. Dans les pays qui possèdent les listes d'électeurs les plus élaborées, il ne s'agit que de rayer le nom de l'électeur sur une liste numérotée que les préposés ont à leur disposition. Dans d'autres pays cependant, ceci n'est pas une garantie suffisante que l'électeur ne pourra voter une seconde fois dans un autre bureau de vote. On contourne ce problème en marquant l'électeur à l'encre indélébile.
Plusieurs lois électorales prévoient le cas où des électeurs ne peuvent pas voter personnellement le jour de l'élection. Sauf de rares exceptions, comme en Australie où un électeur peut voter ailleurs qu'à son lieu de résidence, il existe habituellement des mesures spéciales qui permettent aux électeurs de voter par la poste ou par procuration. La procuration permet à l'électeur de confier son vote à une personne de confiance.
Les deux approches comportent un problème très difficile à résoudre : assurer le droit de vote tout en prévenant l'utilisation frauduleuse de ces méthodes, sans avoir à les ensevelir dans tant de mesures de précaution qu'elles en deviennent inutilisables.
Dans des pays en transition politique ou en voie de développement, la poste n'est pas toujours très efficace et dans l'ensemble, ces méthodes peuvent rarement assurer le droit de vote. Par conséquent, il n'est pas prudent de les adopter dans de telles circonstances car les risques de fraude dépassent de beaucoup les avantages possibles. On peut cependant y utiliser la méthode des bureaux mobiles mentionnée plus haut pour aider certains électeurs, comme ceux qui sont hospitalisés.
Dépouillement des votes. Dans la grande majorité des systèmes électoraux, les préposés du bureau de vote procèdent eux-mêmes au dépouillement. Ce processus débute dès la fin du vote et ne peut être interrompu. Les préposés déclarent quels bulletins sont rejetés, quels sont laissés en blanc et quels sont valides, et comptent les votes accordés à chaque candidat. Le total de toutes ces catégories doit être égal au nombre de bulletins déposés.
Il s'agit d'une opération publique, exécutée en présence des représentants des partis politiques et, dans certains cas, d'observateurs locaux ou internationaux. Les résultats sont inscrits dans un registre des votes qui servira à la compilation définitive et à l'assignation des sièges.
Dans plusieurs lois électorales, cette opération est gouvernée par le principe de acta mata veto qui empêche tout recours ou plainte subséquente, c'est-à-dire que rien de ce qui n'a pas été souligné à chaque étape du processus « dépouillement ou compte définitif » ne peut être contesté par la suite.
Le registre des votes contient tous les cas problèmes survenus de sorte que les bulletins valides peuvent être détruits et ne peuvent plus faire l'objet d'aucune discussion. Les contestations ne sont donc possibles que si le problème a été inscrit au registre du vote.
Opérations après le dépouillement. Une fois le dépouillement complété, les préposés doivent noter dans le rapport officiel tous les incidents qui se sont produits au cours du vote, le nombre de bulletins déposés et les résultats obtenus par chaque candidat. Ils doivent aussi y noter les écarts dans le dépouillement. Ce rapport sert à la compilation préliminaire, officielle ou autre, qui se fait immédiatement après l'élection et à la compilation officielle confiée aux autorités électorales. Ils sont signés par tous les préposés du bureau de vote et, dans certains systèmes, par les représentants des candidats.
Le travail des préposés n'est terminé que quand ils ont remis tous leurs documents à l'endroit prévu à cet effet, qui est normalement le bureau de l'organisme électoral ou d'une autorité judiciaire.