La réforme constitutionnelle et électorale au Chili est un exemple d'un système électoral conçu par un gouvernement qui veut s'assurer le contrôle des éléments essentiels du pouvoir politique et tirer profit de son analyse précise de la situation électorale du pays. À ces fins, on a eu recours à certaines mesures, dont :
- des mesures arbitraires (truquage) dans la délimitation des circonscriptions;
- un système de districts binominal auquel on applique le vote proportionnel;
- la désignation d'un nombre suffisant de sénateurs;
- l'exigence d'une majorité plus élevée pour obtenir une réforme de la Constitution, de sorte que des changements deviennent pratiquement impossibles.
Le but de ces mesures était d'assurer aux partis gouvernementaux une meilleure représentation et un pouvoir plus grand que ne l'aurait permis un système électoral plus neutre. Il ne faut pas oublier qu'il s'agissait d'une dictature militaire, née d'un coup d'état sanglant, qui a gardé le pouvoir pendant 16 ans grâce à l'appui de l'armée et qui a été responsable de la suppression de la liberté et des droits démocratiques.
L'actuel système électoral du Chili a été établi durant les dernières années du régime Pinochet, et mis en oeuvre dans les mois qui ont suivi le plébiscite d'octobre 1998, et dont les résultats de 50 % en faveur du Oui et 44 % en faveur du Non ont empêché Pinochet de prolonger sa présidence d'encore huit ans au-delà des 16 années de pouvoir qu'il comptait déjà.
Durant le régime Pinochet, les divisions administratives du pays ont été changées. La nouvelle structure a divisé le pays en 13 régions dont chacune comptait des provinces dont le nombre est monté à 50. Les municipalités, qui étaient les plus petites unités administratives, ont été maintenues sans grands changements à leur nombre, mais les districts ont été éliminés.
Parce que Pinochet a perdu son plébiscite, des élections présidentielles ont dû être tenues l'année suivante, soit en décembre 1989, et les membres des deux chambres devaient être élus simultanément. Peu après le plébiscite, le gouvernement s'est donné beaucoup de peine pour rédiger une loi créant un nouveau système électoral qui serait déjà en place pour les élections en question. Il s'ensuivit que le nombre de représentants à la chambre basse a été réduit à 120, élus dans 60 districts binominaux avec un système proportionnel.
Le sénat comptait encore 45 membres dont huit avaient été nommés par Pinochet pour une période de huit ans. Trente-six autres ont été élus dans des circonscriptions binominales, toujours selon le système proportionnel.
Les 60 circonscriptions pour la chambre basse ont été établies de sorte qu'une extrapolation des résultats du plébiscite de 1988 ferait que dans aucun des nouveaux districts électoraux le Non n'aurait reçu plus du double de voix que le Oui. La raison était que, dans une circonscription binominale dans un système proportionnel, ceux qui avaient voté Non dans le plébiscite appuieraient le centre-gauche alors que ceux qui avaient voté Oui étaient des partisans de la droite. Pour atteindre cet objectif, les circonscriptions n'ont pas tenu compte des limites provinciales mais bien des limites régionales. Il s'ensuivit que la région avec la plus petite population, Ayén qui ne compte que 60 000 habitants, a pu élire deux députés et deux sénateurs. Par contre, dans la région métropolitaine de Santiago qui compte cinq millions d'habitants, on devait élire quatre sénateurs et 32 députés.
Les limites de certaines circonscriptions n'ont été confirmées qu'à la dernière minute. En fin de compte, la carte électorale avait toutes les apparences du résultat typique d'une approche strictement politique, le truquage, de découpage d'une carte électorale. Par principe, aucune municipalité n'a été divisée entre circonscriptions et il s'ensuivit que des municipalités comptant moins de 300 000 habitants ne formaient qu'une seule circonscription alors que dans certaines régions rurales, la population moyenne des districts atteignait environ 150 000 de sorte qu'elles étaient sur-représentées au parlement.
Les circonscriptions binominales
Le système de circonscriptions binominales produit des effets contraires à celui des circonscriptions uninominales, qui voit le candidat ayant reçu le plus de votes obtenir le seul siège ce qui exagère le pouvoir des partis majoritaires face aux partis minoritaires. Dans le système binominal, par contre, si le plus populaire des partis minoritaires reçoit au moins 33,4 % des votes dans chaque circonscription, il est assuré de la moitié des sièges. Au Chili, les stratèges de Pinochet ont bien prévu que les partis de la droite obtiendraient la deuxième place dans les élections présidentielles et législatives derrière la coalition du centre-gauche, favorable au Non lors du plébiscite. En s'assurant qu'en aucun cas, les votes en faveur du Non ne tripleraient ceux du Oui, ils assuraient le statu quo électoral qui les avait bien servis. La question était primordiale, car modifier la constitution de 1980 de Pinochet exige les deux tiers des députés. Des règlements comme celui qui stipule que le président ne peut déplacer les commandants des forces armées permettent à ces forces militaires et aux partis de la droite de continuer d'exercer leur pouvoir sur la politique du Chili. Une minorité parlementaire aurait été désastreuse pour ces derniers, mais le scénario a été établi en leur faveur grâce aux deux piliers mentionnés : les sénateurs nommés par le président lui assuraient une majorité au sénat et ensuite, le système électoral biaisé rendait pratiquement impossible que la coalition centre-gauche puisse compter plus des deux tiers des membres de la chambre des représentants.
Les élections parlementaires
Finalement, la coalition « Consensus » du centre-gauche a quand même obtenu 72 des 120 sièges de députés alors que les partis de la droite, favorables à Pinochet, en ont obtenu 48. Le « Consensus » a réussi à obtenir plus du double des votes des conservateurs dans 12 circonscriptions, dans lesquelles ces derniers ont souffert de la dispersion d'une partie des votes qui sont allés à des candidats populistes à tendance de droite. Par contre, les communistes ont décidé de garder leurs propres candidats - parfois en alliance avec les candidats du parti socialiste qui faisait pourtant partie du « Consensus », ce qui a possiblement privé la coalition de huit ou dix autres députés.
Au sénat, le «Consensus» a obtenu 22 sièges additionnels et les conservateurs 16, mais les sénateurs nommés ont assuré une majorité suffisante à ces derniers. Il faut aussi se rappeler que bien que la chambre des représentants est renouvelée à chaque quatre ans, tout comme la moitié du sénat, le mandat des sénateurs nommés est d'au moins huit ans.
Les élections présidentielles
Le changement le plus important produit par la nouvelle loi électorale est probablement la création du scrutin à deux tours, comme dans les élections présidentielles en France. Ce changement jouit de l'appui de la majorité parce que le vieux système avait permis l'élection de Salvador Allende à la présidence. Allende a gagné en 1970 avec 36 % des votes et le parlement a dû choisir entre lui et Alessandri qui avait obtenu presque le même nombre de voix. Le commandant en chef de l'armée avait été assassiné après avoir donné son appui à la modification de la constitution en ce qui concerne le rôle de l'armée dans cette décision.
En 1989, Patricio Aylwin, un chrétien-démocrate qui avait l'appui de la coalition du centre-gauche « Consensus », a gagné avec 55 % des votes. Hernán Büchi, qui avait été ministre des Finances sous Pinochet, a obtenu 29 % et un troisième candidat, un millionnaire qui s'était présenté comme indépendant, a obtenu 16 %.
Source : Le matériel de ce cas national est un extrait d'une analyse plus approfondie du système électoral du Chili depuis 1973. Cette analyse a été publiée de façon anonyme sur la page Web de l'Université de Keele (http://www.psr.keele.ac.uk/election.htm). Il n'a malheureusement pas été possible d'identifier l'auteur pour lui donner le crédit pour une analyse aussi approfondie.