Éric des Pallières
Contexte
Depuis la fin d’un conflit civil et international dévastateur, le Cambodge a régulièrement organisé des élections, tout d’abord au niveau national, puis au niveau local. Dans le cadre des Accords de paix de Paris de 1991, l’Autorité provisoire des Nations Unies au Cambodge (APRONUC) a organisé les premières élections nationales en mai 1993. Bien que jugées techniquement fiables, ces élections ont été marquées par une violence politique et une intimidation de grande ampleur. Une nouvelle Constitution, adoptée en septembre 1993, a défini le Royaume du Cambodge comme un État multipartite et disposé que les élections législatives se tiendraient tous les cinq ans. Le Comité électoral national (CEN) a été créé en janvier 1988 et de nouvelles élections nationales ont été organisées par le pays en 1998, 2003, 2008 et 2013. Les toutes premières élections locales multipartites ont été organisées en 2002 pour les 1 621 conseils communaux, [1] dont les mandats ont été renouvelés en 2007 et 2012. Les élections indirectes de 2006 et 2012 ont permis d’élire les membres du Sénat, et celles de 2009 les membres de conseils nouvellement créés au niveau des districts et des provinces.
Jusqu’en 2013, les élections ont été marquées par la domination croissante du Parti du peuple cambodgien (PPC) de Hun Sen, qui dirige le pays depuis que le Viêt Nam a renversé le régime Khmer rouge en 1979. Après avoir perdu les élections de 1993 face au parti royaliste Funcinpec [2] par 38 % des suffrages contre 45, le PPC a refusé les résultats et un accord de partage du pouvoir a permis à Hun Sen d’occuper le poste de second Premier ministre. En 1997, un affrontement armé a entraîné l’effondrement de la coalition et Hun Sen a assumé à lui seul la direction du pays. En 1998, le PPC a obtenu 40 % des suffrages et a formé une nouvelle coalition avec le Funcinpec. En 2003, le PPC a obtenu 47 % des suffrages, mais les élections ont donné lieu à un long blocage politique, le parti n’ayant pas remporté la majorité des deux tiers qui, selon la Constitution, lui aurait permis de former son propre gouvernement. Une fois encore, l’opposition a refusé de reconnaître les résultats.
Une nouvelle coalition PPC/Funcinpec a finalement été créée. En 2008, le PPC a obtenu 58 % des suffrages et s’est assuré la majorité des deux tiers à l’Assemblée nationale. Dans le même temps, le Funcinpec a perdu le soutien des électeurs et le Parti Sam Rainsy (PSR) est devenu le premier parti d’opposition avec 22 % des suffrages.
En 2012, les deux principaux partis d’opposition, le PSR et le Parti des droits de l’homme (PDH), ont fusionné pour former le Parti de sauvetage national du Cambodge (PSNC). Les élections parlementaires de 2013 ont été marquées par un important recul du parti au pouvoir, les résultats officiels attribuant 48,8 % des suffrages (68 sièges) au PPC, contre 44,5 % des suffrages (55 sièges) à la nouvelle opposition unifiée. Les observateurs nationaux et internationaux ont remis en cause l’intégrité du processus électoral, faisant état d’un niveau record de fraude[3] notamment en termes d’inscription et d’identification des électeurs. Revendiquant la victoire, l’opposition a refusé les résultats officiels. Elle a sollicité une enquête indépendante sur les fraudes électorales et une réforme du CEN, accusé de prendre parti pour le gouvernement. Ceci a provoqué de nombreuses manifestations et la plus longue crise postélectorale de l’histoire récente du Cambodge.
Jusqu’en 2013, l’administration générale des élections s’était globalement améliorée au fil du temps. Pourtant, 20 ans après les élections organisées par les Nations Unies, le processus électoral au Cambodge ne remplissait toujours pas les principales obligations internationales pour des élections démocratiques. En réalité, les problèmes qui minent toutes les élections organisées depuis 1998 n’ont pas beaucoup changé : l’indépendance du CEN, l’inscription des électeurs et la résolution des contentieux, sans parler d’un environnement général peu propice à l’égalité des chances, notamment en ce qui concerne l’accès aux médias et l’utilisation des ressources publiques. Alors que les élections récentes avaient souligné la nécessité d’améliorer nettement ces aspects, l’absence de réforme politique et le niveau record de fraude observé lors des élections de 2013 ont encore érodé la confiance dans l’administration électorale, qui doit désormais être entièrement remaniée.
Cadre législatif
Alors que les dispositions constitutionnelles décrivent les principes fondamentaux applicables à la conduite des élections nationales, [4] elles ne traitent pas de la création, de la composition et des responsabilités de l’OGE, qui ne font pas non plus l’objet d’une loi organique distincte. Le CEN a été constitué en vertu de dispositions de la loi sur l’élection des membres de l’Assemblée nationale (Law on the Election of the Members of the National Assembly, LEMNA) en décembre 1997. D’autres lois électorales ont été adoptées par la suite, à l’occasion de la création de nouvelles assemblées élues. En l’absence de code électoral consolidé, le cadre juridique des élections est donc composé de divers textes de loi régissant les élections à l’Assemblée nationale, au Sénat, aux conseils communaux et aux conseils récemment créés au niveau des provinces et des districts. Parmi les autres instruments applicables figurent la loi sur les partis politiques, la loi sur la presse et la loi sur le Conseil constitutionnel.
Depuis 1998, des amendements successifs basés sur l’expérience ont permis d’améliorer progressivement la LEMNA, notamment en 2002 puis à deux reprises en 2006, ce qui a quelque peu amélioré le cadre général des procédures électorales en matière d’inscription des électeurs, de résolution des contentieux et de composition du CEN. Le manque de volonté politique a ensuite freiné les réformes. En 2011, de timides amendements relatifs à l’inscription des électeurs n’ont pas permis de combler les principales lacunes. En ce qui concerne la gestion électorale, la loi définit le CEN comme un organisme « indépendant et neutre » body [5], mais les dispositions qui régissent sa composition et la nomination de ses membres ont toujours généré des inquiétudes quant à sa réelle indépendance. En outre, d’importantes fonctions d’administration électorale sont déléguées à d’autres branches du gouvernement.
Composition et nomination
Les acteurs électoraux font preuve d’un manque de confiance persistent dans la neutralité et l’impartialité du CEN. Malgré des réformes successives de sa composition, il reste à trouver une formule adéquate qui permette une meilleure acceptation. Les vides juridiques qui empêchent le CEN de gérer les élections de manière totalement indépendante sont également source d’inquiétude. Les membres du CEN sont désignés par le ministère de l’Intérieur et nommés par décret royal à la demande du Conseil des ministres, sous réserve de l’approbation de l’Assemblée nationale à la majorité simple. Toutes ces institutions sont dominées par le PPC et ne sont pas tenues de mener des consultations publiques avec les partis politiques ou d’autres secteurs de la société. En outre, les commissaires ne sont pas nommés pour une durée définie et ne sont pas explicitement protégés contre une révocation sans motif par l’Assemblée nationale.
Se voulant multipartite, le CEN comprenait initialement 11 commissaires issus de différents partis, notamment des employés gouvernementaux et des représentants de chaque parti politique siégeant à l’Assemblée nationale. Il a été largement critiqué pour son manque d’indépendance et d’impartialité lors des élections législatives de 1998 et communales de 2002, en particulier dans le domaine de la gestion du contentieux. Alors que les membres de l’opposition étaient en nette infériorité numérique, des tensions internes ont également affecté la prise de décision lors des élections parlementaires contestées de 1998. De nombreux critiques ont exigé des réformes visant à éliminer l’influence du parti, tandis que d’autres ont plaidé pour un CEN ouvertement multipartite garantissant un équilibre des pouvoirs suffisant. Avant les élections de 2003, le CEN a été transformé en un conseil « neutre » plus restreint, dont les cinq membres devaient être sélectionnés « parmi des dignitaires expérimentés dans le domaine de la politique, bénéficiant d’une expérience professionnelle et d’une bonne réputation » [6].De nouvelles procédures ont également été mises en place pour la nomination des membres des commissions électorales provinciales et communales secondaires. Dans un environnement caractérisé par le sectarisme et la soumission à l’autorité, la mise en place d’un OGE professionnel n’a pas suffi à dissiper les accusations de parti pris pour le gouvernement émises par les partis d’opposition et les réseaux de surveillance de la société civile.
En 2006, un nouvel amendement législatif a fait passer le nombre de membres du CEN de cinq à neuf, rétablissant tacitement une certaine représentation multipartite en permettant au Funcinpec et au PSR de détacher chacun deux membres, tandis que les cinq autres étaient considérés comme alignés sur le parti au pouvoir. En pratique, cependant, le Funcinpec était devenu un partenaire de coalition du PPC au pouvoir et le rapport de forces était de sept contre deux pour la plupart des décisions. Les décisions du CEN étant prises à la majorité simple et sa réglementation interne imposant un minimum de trois membres pour soumettre une proposition, l’influence des représentants de l’opposition est restée extrêmement limitée au-delà de l’accès à l’information. Les commissions provinciales et communales secondaires sont souvent restées largement dominées par les affiliés au PPC, comme l’indiquaient les observateurs nationaux et internationaux [7] En 2011, les principaux partis politiques autres que le PPC ont lancé un appel conjoint à la représentation multipartite à tous les niveaux de l’administration électorale, mais leur demande n’a pas été prise en compte. [8] Suite aux élections de 2013, l’opposition a subordonné toute solution politique à un remaniement complet du CEN.
Structure et capacités institutionnelles
Au Cambodge, l’administration électorale se caractérise par une structure à quatre niveaux. Au niveau central, le CEN est dirigé par un comité permanent de neuf membres : un président, un vice-président et sept commissaires. Il bénéficie du soutien d’un secrétariat général qui supervise le travail de cinq départements : opérations, administration, finances, formation et information du public, et services juridiques. Le secrétariat général a acquis une solide expertise technique au fil des ans et a prouvé qu’il était capable de planifier et de mettre en œuvre efficacement les activités électorales, même si les nouvelles technologies restent sous-exploitées à ce jour, notamment en ce qui concerne l’inscription des électeurs et la gestion des résultats. Activées en période électorale, les structures de niveau inférieur se composent de 24 commissions électorales provinciales et de 1 633 commissions électorales communales. Entre les élections, le CEN maintient des secrétariats restreints au niveau provincial afin de garantir la continuité et de superviser l’actualisation annuelle des listes électorales.
Pouvoirs et fonctions
La LEMNA attribue au CEN de vastes pouvoirs en matière de préparation et de conduite du processus électoral. Ses principales fonctions sont les suivantes : publier le calendrier électoral ; nommer et superviser les commissions électorales de niveau inférieur ; préparer, examiner et valider les listes électorales ; enregistrer les partis politiques et les candidats aux élections ; mener les scrutins et les opérations de dépouillement ; établir et proclamer les résultats. Le CEN est également habilité à « adopter des règles, procédures et directives relatives au processus électoral, conformément aux lois applicables ». Il a visiblement exercé ce pouvoir dans le but de renforcer et de clarifier les dispositions juridiques en vigueur grâce à un ensemble de règles, directives et instructions exhaustives, quoique longues et fragmentées.
Le CEN possède également d’importants pouvoirs de réglementation vis-à-vis des candidats, des médias et d’autres acteurs. Il est légalement tenu de prendre toutes les mesures nécessaires pour garantir des élections équitables (notamment supervision des campagnes électorales, promotion d’un accès équitable aux médias, contrôle du financement des campagnes et résolution des contentieux électoraux). La LEMNA appelle donc les parties prenantes à respecter les règles et les codes de conduite spécifiques élaborés par le Comité. L’incertitude juridique concernant l’application de la loi et des sanctions compromet cependant le pouvoir de réglementation exercé par le CEN sur les médias en période électorale. Il en va de même pour le financement des campagnes, en particulier en l’absence de toute limitation des contributions ou des dépenses.
En outre, d’importantes fonctions électorales ont été déléguées aux collectivités locales, qui sont largement contrôlées par le parti au pouvoir, ce qui remet en cause la véritable indépendance de l’administration électorale. Dans le cadre de la création d’un registre permanent des électeurs avant les élections de 2003, les amendements correspondants à la LEMNA ont précisé que le CEN devait « déléguer tous ses pouvoirs aux conseils communaux » afin qu’ils puissent assurer en son nom l’actualisation annuelle des listes électorales. Le CEN conserve la responsabilité ultime « d’examiner et de valider les listes électorales », sans avoir la capacité effective de le faire. Enfin, le pouvoir de déterminer le nombre de sièges à l’Assemblée nationale et leur répartition par circonscription relève d’un comité spécial nommé par le Conseil des ministres et comprenant un représentant de chaque parti siégeant à l’Assemblée nationale, deux employés du ministère de l’Intérieur et le directeur de l’Institut national des statistiques.
Responsabilité en matière de justice électorale
Parmi ses fonctions principales, le CEN est chargé de « trancher tous les contentieux et recours en rapport avec les élections, à l’exception de ceux qui relèvent de la compétence de la Cour Suprême ». En ce qui concerne les élections nationales, cette compétence est susceptible de recours devant le Conseil constitutionnel, qui statue en dernière instance. Le système cambodgien se distingue par le fait qu’il attribue au CEN des compétences quasi judiciaires concernant les infractions pénales en rapport avec les élections, en sus de possibles poursuites pénales. Le manque de confiance envers le pouvoir judiciaire explique en partie ce choix. En complément de la loi, les règlements du CEN établissent clairement la compétence des commissions électorales de niveau inférieur à résoudre les contentieux électoraux.[9] Ces commissions doivent tenter une conciliation entre les parties concernées avant d’entamer une procédure formelle et jouer le rôle de filtres critiques afin d’éviter un engorgement des services juridiques au niveau national. Leurs décisions peuvent faire l’objet d’un appel devant le CEN et, en dernier recours, devant le Conseil constitutionnel pour les élections à l’Assemblée nationale et au Sénat.
Malgré ces caractéristiques intéressantes, le jugement des contentieux et des recours reste l’un des aspects les plus litigieux du processus électoral cambodgien. Comme l’ont récemment indiqué les observateurs nationaux et internationaux, le système judiciaire n’est pas parvenu à remédier aux principales fraudes présumées. Compte tenu de l’environnement dans lequel elles évoluent, les commissions électorales de niveau inférieur hésitent souvent à entamer des procédures d’ordre politique. De nombreux recours sont donc sommairement rejetés dès le départ, pour des motifs formels ou par « manque de preuves », et les requérants peuvent être fortement encouragés à accepter une conciliation même en cas d’infraction grave présumée. Malgré plusieurs amendements, les dispositions applicables présentent toujours d’importantes défaillances, notamment l’extrême complexité des procédures, l’absence de compétence générale permettant au CEN de traiter d’autres violations que les infractions électorales spécifiquement répertoriées et les délais incroyablement courts prévus pour la soumission et la résolution des contentieux postélectoraux. Enfin, malgré la compétence de ses services juridiques, le CEN n’est pas perçu comme un arbitre impartial, notamment du fait qu’il n’est pas parvenu à faire appliquer les sanctions prises à l’encontre d’affiliés du parti au pouvoir lors de certaines affaires récentes fortement médiatisées.
Rapports avec les médias
En réponse au manque de confiance publique, le CEN a consenti des efforts substantiels pour améliorer sa stratégie de communication externe ces dernières années, ayant davantage recours à divers instruments et techniques, notamment par le biais de son Bureau d’information publique. La nomination d’un porte-parole, des conférences de presse régulières, des communiqués de presse et des publications sur son site Internet ont permis au CEN de transmettre des informations opportunes sur le processus électoral à l’ensemble des parties prenantes. En période électorale, la LEMNA appelle tous les médias à mettre gratuitement leurs services à la disposition du CEN aux fins d’information et d’éducation des électeurs. Enfin, le CEN s’est attaché à apporter des réponses méthodiques et des clarifications aux différents rapports publiés par les observateurs électoraux, les partenaires de développement et les réseaux de surveillance nationaux, quoique souvent avec un détachement qui pourrait s’avérer contreproductif.
La responsabilité du CEN en matière de conduite des campagnes électorales consiste notamment à « prendre des mesures pour garantir un accès équitable aux médias publics ». Les règles du CEN prévoient une programmation spéciale à la télévision publique, offrant aux candidats des créneaux équitables, quoique limités, pour assurer leur promotion. En outre, le CEN a publié des directives appelant l’ensemble des médias à assurer une couverture pluraliste des élections et à ne pas utiliser de termes incendiaires ou offensants. Les médias publics sont également tenus d’appliquer les principes d’équité et de distinguer les activités gouvernementales de celles du parti dans leur couverture de l’actualité. Dans les faits, pourtant, la plupart des organes de radiodiffusion sont contrôlés par le PPC, qui continue à bénéficier d’une forte médiatisation. Les responsabilités respectives du CEN et du ministère de l’Information restent vagues en matière d’application de la loi et des sanctions. En 2008, le CEN a adressé des mises en garde aux organes de radiodiffusion qui avaient enfreint les règles de campagne, mais n’a pris aucune mesure supplémentaire malgré la poursuite manifeste des violations.
Financement et pérennité
Le CEN est financé par l’État cambodgien et les contributions des donateurs. À la seule exception de l’aide étrangère, toutes les subventions doivent être créditées sur un fonds de fiducie du Trésor public. Depuis les premières élections gérées par le CEN en 1998, le Cambodge a accompli des progrès significatifs en matière de pérennité financière du processus électoral. Bien que le financement par les donateurs ait été important au fil des ans, il a diminué à chaque élection entre 1998 et 2013, passant de près de 80 % du budget global à des dons limités en nature, du fait de la réduction des coûts et de l’augmentation de la contribution de l’État. Entre 1998 et 2003, le budget consacré aux élections a été divisé par deux. La réduction des coûts a partiellement résulté de la réforme des modalités d’inscription des électeurs. Un registre permanent, mis à jour chaque année par les autorités communales, a en effet remplacé les campagnes d’inscription qui étaient entièrement menées avant chaque scrutin. Tout en améliorant la pérennité financière, cette évolution a néanmoins entraîné le transfert de fonctions électorales essentielles aux collectivités locales dominées par le parti au pouvoir. Les dépenses électorales ont dès lors augmenté. En effet, le CEN a sollicité un budget de 17 millions USD en 2008, contre 21 millions USD en 2013. L’inscription des électeurs entre à nouveau en ligne de compte, l’allongement des périodes d’inscription ayant entraîné une augmentation des coûts. Les contributions internationales ont continué à faiblir, notamment du fait de l’épuisement des donateurs, de la paralysie de la réforme électorale et de l’absence de réel processus de démocratisation.
Gestion de la réforme électorale
Après 20 ans d’assistance internationale conséquente, le processus électoral au Cambodge ne remplit toujours pas les principales obligations internationales en matière d’élections démocratiques. Si la conduite globale du processus électoral s’est généralement améliorée au fil du temps, les problèmes majeurs qui minent toutes les élections organisées depuis 1998 n’ont pas beaucoup changé : l’indépendance du CEN, l’inscription des électeurs et la résolution des contentieux, sans parler d’un environnement politique peu propice à l’égalité des chances. Comme l’ont indiqué les observateurs nationaux et internationaux, les élections parlementaires de 2008 avaient déjà souligné la nécessité de mener de nouvelles réformes substantielles dans ces domaines clés. En effet, la campagne électorale avait été marquée par un évident parti pris des médias pour le parti au pouvoir et par une utilisation abusive des ressources publiques ; des fraudes liées à l’inscription des électeurs avaient privé des milliers de personnes du droit de vote le jour de l’élection et le système de résolution des contentieux n’était pas parvenu à remédier aux principales fraudes. Les légères modifications apportées aux dispositions législatives et réglementaires régissant l’inscription des électeurs en 2011 ont été trop tardives et trop limitées, et ne sont pas parvenues à combler d’importantes lacunes, pourtant bien documentées. Par conséquent, les élections de 2013 ont été marquées par les mêmes fraudes majeures que les élections précédentes en termes d’inscription et d’identification des électeurs, mais ces défaillances ont atteint des niveaux sans précédent. Les conclusions complémentaires de nombreux réseaux de surveillance de la société civile, regroupés dans l’Alliance pour la réforme électorale (Electoral Reform Alliance, ERA)[10] montrent bien leur impact potentiel sur la crédibilité des résultats électoraux.
L’absence de progrès est en grande partie due au manque de volonté politique des autorités cambodgiennes et du CEN à appliquer réellement les recommandations fondamentales formulées au fil des ans, que ce soit par les réseaux de surveillance nationaux, les observateurs internationaux ou les partenaires de développement. Les rapports critiques rencontraient presque systématiquement une fin de non-recevoir, comme le montre le livre blanc [11] publié par le gouvernement suite aux élections de 2013. Malgré son rôle passé dans le domaine de la réforme électorale, le CEN a adopté une interprétation restrictive de son mandat, excluant toute participation aux débats sur l’évolution de la législation électorale, ce qui prive les pouvoirs exécutif et législatif d’une expertise technique unique. Les dernières élections ont donc contribué à aggraver le discrédit public jeté sur une institution désormais considérée comme faisant partie intégrante du problème et devant être entièrement remaniée.
Notes
[1] Depuis 2012, le Cambodge compte 1 633 conseils communaux.
[2] Acronyme désignant le Front uni national pour un Cambodge indépendant, neutre, pacifique et coopératif.
[3] Voir notamment : ERA, Joint Report on the Conduct of the 2013 Cambodian Elections [Rapport conjoint sur la conduite des élections cambodgiennes de 2013], novembre 2013.
[4] La Constitution garantit le droit de voter ou de se présenter aux élections au scrutin libre, universel, égal, direct et secret (articles 34 et 76). Elle fixe à cinq ans la durée de mandat de l’Assemblée nationale (article 78) et définit le Conseil constitutionnel comme la plus haute juridiction compétente en matière de contentieux électoraux (article 136).
[5] LEMNA, article 12, telle que modifiée en 2002./p>
[6] LEMNA, articles 12 et 13.
[7] Voir les rapports du Comité pour des élections libres et justes (Committee for Free and Fair Elections, COMFREL) et du Comité neutre et impartial pour des élections libres et justes au Cambodge (Neutral and Impartial Committee for Free and Fair Elections in Cambodia, NICFEC) sur les élections de 2003, 2007 et 2008 ; MISSION D’OBSERVATION ELECTORALE DE L’UNION EUROPEENNE (MOE UE), Final Report on the National Assembly Elections [Rapport final sur les élections législatives], 2008.
[8] PNR, PSR, PDH ET FUNCINPEC, Recommendations for Reforming the Composition of the National Election Committee to Build Trust Among Political Parties Contesting Elections [Recommandations en vue de réformer la composition du Comité électoral national afin de renforcer la confiance des partis politiques se présentant aux élections], mai 2011.
[9] À l’exception de ceux en rapport avec l’inscription des électeurs, qui relèvent des conseils communaux.
[10] ERA, Joint Report on the Conduct of the 2013 Cambodian Elections [Rapport conjoint sur la conduite des élections cambodgiennes de 2013], novembre 2013. Organisations participantes : Association pour les droits de l’homme et le développement au Cambodge (ADHOC), Coalition pour l’intégrité et la responsabilité sociale (Coalition for Integrity and Social Accountability, CISA), Comité pour des élections libres et justes (Committee for Free and Fair Elections, COMFREL), Ligue cambodgienne des droits de l’homme (LICADHO), Institut national démocratique (National Democratic Institute, NDI), Comité neutre et impartial pour des élections libres et justes au Cambodge (Neutral and Impartial Committee for Free and Fair Elections in Cambodia, NICFEC), Centre populaire pour le développement et la paix (People Center for Development and Peace, PDP-Center) de Phnom Penh et Transparency International Cambodge (TIC).
[11] UNITE DE PRESSE ET DE REACTION RAPIDE DU BUREAU DU CONSEIL DES MINISTRES, White paper on the 2013 General Election for the 5th Mandate of the National Assembly of the Kingdom of Cambodia [Livre blanc sur les élections générales de 2013 en vue du 5e mandat de l’Assemblée nationale du Royaume du Cambodge], septembre 2013.