Andy Campbell
À la fin de l’année 2001, une coalition internationale dirigée par les États-Unis a ôté des mains du régime taliban le contrôle de la plupart des régions d’Afghanistan. Depuis lors, la situation a considérablement évolué. L’État islamique transitoire d’Afghanistan instauré par les accords de Bonn en 2001 est devenu la République islamique d’Afghanistan et l’opération « Liberté immuable » (Operation Enduring Freedom, OEF) dirigée par les États-Unis a laissé place à la Force internationale d’assistance à la sécurité (FIAS) de l’OTAN, qui se limitait initialement à Kaboul. Les factions armées, fortement déstabilisantes, ont pour la plupart été désarmées et démobilisées, et de nombreux seigneurs de guerre ont renoncé à la violence. La communauté internationale espérait que les progrès électoraux et politiques accomplis seraient consolidés, que les enseignements tirés seraient mis en application et que les faiblesses identifiées seraient éliminées. Elle espérait également que les Talibans seraient vaincus et que les derniers seigneurs de guerre seraient contraints d’accepter le statu quo et de tirer un trait sur le passé. La réalité sur le terrain est cependant bien différente.
En 2012, les Talibans (organisés en factions) et d’autres groupes insurgés cherchaient toujours à reprendre le contrôle du pays en commettant des actes de violence gratuite, pour la plupart dirigés contre la population afghane. Les troupes combattantes de la FIAS devaient se retirer progressivement en 2014. Certains seigneurs de guerre, bien que désarmés, occupent désormais les fonctions de gouverneurs provinciaux, de ministres nommés par le président et de représentants élus à l’Assemblée nationale. L’Organe mixte d’administration des élections (Joint Election Management Body, JEMB) a cessé ses activités et la Commission électorale indépendante (CEI) a pris le relais, subissant toutefois de nombreuses ingérences du bureau exécutif et organisant en 2009 ce qui était peut-être le pire scrutin de mémoire d’homme. Cette élection s’est en effet caractérisée par une fraude massive, la collusion active de membres éminents de l’OGE et des rapports extrêmement tendus avec la communauté internationale qui l’avait financée et le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) qui avait mandaté des conseillers. Reste à savoir si l’OGE sera capable d’organiser des scrutins crédibles au cours des dix prochaines années.
Contexte historique et événements récents
Totalement irréaliste et impraticable, le calendrier électoral est basé sur différentes sections de la Constitution afghane, qui prévoit des élections quasiment tous les ans. En association avec d’autres facteurs, notamment le climat et l’insurrection permanente, le calendrier électoral a empêché la pleine maturation de l’OGE afghan.
Le développement de l’OGE afghan est également depuis longtemps entravé par des influences extérieures telles que le pouvoir exécutif, certains éléments du système des Nations Unies et de fortes personnalités présentes dans les centres régionaux du pays. En outre, l’évolution de l’OGE afghan n’a pas été un processus fluide et correctement planifié. La communauté internationale et l’élite afghane avaient pour principaux objectifs de permettre l’arrivée au pouvoir d’un président et d’une Assemblée nationale élus, afin de réduire l’influence des seigneurs de guerre et des groupes illégalement armés, plutôt que d’assurer la viabilité de l’OGE. La création de celui-ci a donc été désordonnée.
L’évolution de l’OGE afghan a été un processus inutilement complexe. Cinq phases se sont succédé entre 2003 et 2006. La première entité (2002) était une pure construction des Nations Unies, basée dans les bureaux de la Mission d’assistance des Nations Unies en Afghanistan (MANUA). Mi-2013, un décret du président par intérim a permis la création d’une entité provisoire hybride, à la fois afghane et internationale (le JEMB), chargée de superviser les fonctions existantes de la MANUA. Au début de l’année 2004, les fonctions de la MANUA ont été transférées à un secrétariat dirigé par les Afghans, qui rendait compte au JEMB. Cette entité a organisé le scrutin présidentiel de 2004. La loi électorale de 2004 ne comprenait aucune disposition permettant de faire appel des décisions. La même année, le bureau du Représentant spécial du Secrétaire général de l’ONU (RSSG) et la Division de l’assistance électorale des Nations Unies (DAENU) ont donc convoqué d’urgence un groupe impartial d’experts électoraux composé d’enquêteurs issu du programme de vote à l’étranger mené par l’OIM en Iran et au Pakistan. Ce groupe a été créé pour répondre aux allégations d’ingérence et aux questions liées à l’utilisation d’encre indélébile.
Au début de l’année 2005, la plupart des commissaires d’origine du JEMB ont été remplacés et le Bureau des Nations Unies pour les services d’appui aux projets (UNOPS) est devenu la principale agence de mise en œuvre. Un important dispositif international a été mis en place pour gérer les scrutins de 2005. Au plus fort de l’activité, plus de 500 agents internationaux soutenaient le processus, même si beaucoup avaient été engagés pour quelques mois seulement. En mai 2005, la loi électorale de 2004 a été remplacée par un nouveau décret présidentiel prévoyant la création d’une Commission indépendante du contentieux électoral (Independent Electoral Complaints Commission, IECC ) composée de cinq commissaires (trois commissaires internationaux, nommés par le RSSG, et deux commissaires afghans : l’un nommé par la Cour suprême, l’autre issu de la Commission afghane indépendante des droits de l’homme). La Commission des médias rendait compte au JEMB, conformément à l’article 51 de la loi modifiée (qui correspond à l’article 60 de la loi de 2010).
À la fin de l’année 2005, après la première séance de l’Assemblée nationale, le JEMB a été dissous et la CEI afghane a été formellement créée. En 2006, le PNUD a mis en place le projet « Renforcer les capacités juridiques et électorales pour l’avenir » (Enhancing Legal and Electoral Capacity for Tomorrow, ELECT) afin de fournir des conseillers à la CEI. Le démarrage retardé du projet ELECT et le retard de financement de la nouvelle CEI ont causé le départ d’un certain nombre de personnes qualifiées. Ce retard a partiellement résulté d’un déficit de 11 millions USD dû à l’augmentation du coût des élections de 2005, car en réalité le PNUD devait de l’argent à l’UNOPS pour l’organisation du scrutin de 2005.
La CEI a élaboré un plan stratégique pour la période 2006-2009 qui n’était pas démesurément ambitieux, mais qui n’a jamais été totalement adopté. La réforme essentielle des modalités d’inscription des électeurs a une nouvelle fois été jugée trop coûteuse, tant sur le plan économique que sur le plan politique. La réforme électorale et les questions associées, par exemple un recensement national visant à faciliter le découpage électoral (une tâche essentielle pour les élections aux conseils de district à venir), n’ont donné lieu à aucune discussion. La CEI a continué à planifier l’élection présidentielle de 2009, mais ne disposait ni des fonds ni des capacités nécessaires pour organiser le scrutin dans les délais impartis. Une nouvelle opération d’inscription des électeurs a été menée à partir de 2008. Le PNUD-ELECT a maintenu son soutien lorsque le personnel a finalement été recruté. Le recrutement de conseillers internationaux a continué à poser problème, notamment en raison de la complexité du système de recrutement du PNUD, même si la plupart des experts figuraient sur le registre de la DAENU. Le scrutin a été retardé, puis s’est soldé par un fiasco. En effet, près d’un bulletin de vote sur quatre a été invalidé et cinq directeurs principaux des élections (DPE) ont finalement été renvoyés. En 2010, la situation a évolué avec l’adoption d’une nouvelle loi électorale et la nomination d’un nouveau président et d’un nouveau directeur général des élections.
Cadre législatif
La création de la CEI s’inscrit dans le cadre juridique de la Constitution et de la loi électorale. L’article 33 de la Constitution dispose que « les citoyens ont le droit d’élire et d’être élus », tandis que l’article 156 prévoit qu’une « Commission électorale indépendante doit être créée dans le but d’administrer et de superviser tous types d’élections ». Trois lois électorales se sont succédé, toutes sous la forme de décrets présidentiels, en 2004, 2005 (dispositions relatives à l’IECC) et 2010. D’autres décrets et lois annexes ayant un impact sur la CEI ont également été adoptés, notamment la loi sur les partis politiques de 2009.
Le décret présidentiel n° 23 de janvier 2005 définit la structure et le fonctionnement de la CEI, ainsi que le rôle limité du JEMB jusqu’à la mise en place de l’Assemblée nationale (article 10). Un précédent décret présidentiel de 2003 est à l’origine de la création de la CEI intérimaire. L’article 61 de la loi électorale de 2004 (Élections pendant la période de transition) désigne cette évolution comme « la fin de la période de transition ». L’article 66 de la loi électorale de 2010 confère à la CEI le pouvoir d’édicter des réglementations contraignantes. À ce jour, la Commission a exercé ce pouvoir dans un large éventail de domaines. L’article 50 précise que la CEI déterminera les droits et obligations des agents, des observateurs et des médias.
Comme indiqué précédemment, l’article 51 de la loi électorale modifiée de 2005 (qui correspond à l’article 60 de la loi de 2010) est à l’origine de la création de la Commission des médias, qui rend compte à la CEI. L’IECC tire son mandat de l’article 61 de la loi électorale de 2004. Les caractéristiques structurelles et juridiques de l’IECC sont peu adaptées et font l’objet de nombreuses ingérences, comme ce fut le cas en 2009 et 2010. L’IECC est un organisme temporaire, ce qui pose d’importants problèmes en termes de mémoire institutionnelle.
La CEI n’est pas chargée de l’enregistrement des partis politiques, qui incombe au ministère de la Justice. Elle n’est pas non plus chargée du découpage électoral.
Réforme électorale
La réforme électorale est un débat récurrent en Afghanistan. Elle est beaucoup évoquée, mais rarement mise en œuvre. L’Afghanistan n’a pas fondamentalement évolué : la base électorale reste fondée non pas sur une loi débattue, mais sur une série de décrets présidentiels. La loi électorale de 2010 a été édictée par le président conformément à l’article 79 de la Constitution. Celui-ci autorise des décrets législatifs en cas de « nécessité immédiate ». Ce processus a permis de contourner l’article 109, qui interdit de modifier la loi « au cours de la dernière année du mandat législatif ». La Wolesi Jirga ayant retardé le vote bien que la chambre ait rejeté la loi « sous une pluie de cartons rouges », la Meshrano Jirga a refusé d’en débattre pour des motifs administratifs.
La nouvelle loi de 2010 a donné au président le droit de nommer l’ensemble des membres de l’IECC et a apporté ce que certains ont décrit comme de « simples changements administratifs ». Par exemple, elle a supprimé l’article 9 (Engagement à l’impartialité et à la confidentialité), qui encadrait le travail des agents électoraux et échappait à de nombreux commentateurs, à la fois afghans et internationaux, à Kaboul. Elle a également remplacé la « majorité des votes valides » par la notion plus large d’une « majorité de plus de 50 % des suffrages ». Ces « simples changements administratifs » sont subtils mais ont des répercussions majeures sur les principes fondamentaux de l’OGE ainsi que sur l’État de droit.
Le personnel du secrétariat du JEMB a participé à l’élaboration de la loi électorale modifiée de 2005, tandis que le personnel de la CEI a apporté son soutien à ce mécanisme, notamment au décret de 2010. De plus, en 2012, la CEI a produit une révision complète de la loi électorale, qu’elle a transmise au ministère de la Justice pour qu’il l’examine. Bien que l’engagement des parties prenantes ait été minime, c’était la première fois que la CEI s’attelait avec succès à une telle entreprise. Différentes entités, principalement nationales, cherchent cependant à tirer le débat sur la réforme électorale à leur avantage. Au sein de l’Assemblée nationale, l’un des groupes « parlementaires » enregistrés planche sur la réforme électorale et des entités subventionnées par les États-Unis s’efforcent de créer un espace permettant aux Afghans de participer au processus. Une vaste coalition multipartite œuvre également pour la réforme électorale, tout comme au moins une mission diplomatique. Tous ces groupes ont un intérêt particulier à retirer de la réforme électorale en Afghanistan, mais les électeurs participent rarement à ce processus.
Problèmes institutionnels et opérationnels
Tout comme le JEMB en 2004 et 2005, la CEI dispose d’un secrétariat pour mener les opérations électorales. Lors des élections de 2004, ce secrétariat était géré par un Afghan. En 2005, le RSSG a nommé un DGE étranger doublé d’un homologue afghan, qui est devenu le premier DGE afghan en 2006, avant d’organiser les élections de 2009. Pratiquement tous les DPE afghans de 2004-2005 ont vu leur mandat renouvelé en 2006 dans le cadre de la CEI, ce qui a permis de garantir la continuité des connaissances et de l’expérience. Paradoxalement, le PNUD-ELECT n’a pas réembauché la plupart des conseillers internationaux de 2004-2005, qui disposaient pourtant d’une solide expérience. Au début de l’année 2010, le DGE a été remplacé par un ancien membre du JEMB/de la CEI, qui a hérité d’une Commission dysfonctionnelle. Le président a également été remplacé, mais la plupart des commissaires sont restés en poste. Le DGE a supervisé les élections de 2010, puis a démissionné mi-2012 pour reprendre ses activités de développement.
Trois principaux problèmes institutionnels et opérationnels affectent l’OGE : l’intimidation (en rapport avec l’indépendance), la fraude et la diminution de la participation électorale. Les problèmes institutionnels liés à l’intimidation et à la fraude gangrènent l’OGE depuis sa création. La notion d’indépendance n’est pas uniformément enracinée ni respectée, ce qui continue à nuire au bon fonctionnement de la CEI. Bien que le personnel international de 2004-2005 et les agents du PNUD-ELECT aient généralement été des responsables électoraux très expérimentés, beaucoup ne sont pas parvenus à transmettre efficacement leurs capacités ni à fournir des conseils sur l’indépendance et la lutte contre les ingérences.
On observe malheureusement de nombreux exemples d’ingérence dans tous les scrutins. En 2005, les bureaux du président et du RSSG ont fortement incité le personnel du JEMB à évincer certains candidats à la Wolesi Jirga et au conseil provincial dans une province donnée. En 2009, le bureau du président a régulièrement « contacté » directement la CEI pour connaître les résultats escomptés de l’élection présidentielle et un certain nombre de DPE ont influencé les résultats dans leurs provinces suite à une pression directe et sans précédent exercée par de solides entités locales. Lors de l’élection de 2010, le ministère de la Défense a annoncé sa propre liste des bureaux de vote qu’il protégerait, en contradiction directe avec la liste officielle (plus courte) de la CEI, ce qui a eu pour conséquence un risque de fraude supplémentaire. Comme l’ont indiqué des experts électoraux chevronnés, les ripostes possibles à ce type d’ingérence consistent à « plier, se rompre ou esquiver ».
Le PNUD-ELECT a nommé un Conseiller technique en chef (CTA) chargé d’épauler le DGE et de gérer le projet ELECT ; à ce jour, cinq personnes se sont succédé à ce poste. À plusieurs reprises, le CTA a clairement agi avant tout comme un membre des Nations Unies, rendant compte au RSSG. Ceci explique en partie pourquoi la relation entre le DGE et le CTA s’est autant détériorée dans la période précédant l’élection de 2009.
Le troisième problème qui touche l’OGE, à savoir la diminution de la participation électorale (malgré l’augmentation des inscriptions), est une préoccupation grandissante. La participation électorale correspond au nombre de bulletins de vote valides recueillis le jour du scrutin. Elle est passée de 8,0 millions en 2004 à 6,4 millions en 2005, puis 4,2 millions en 2009 et 4,0 millions en 2010. Au cours de la même période, en raison de l’utilisation d’un système d’inscription des électeurs fondamentalement défaillant, le nombre d’électeurs inscrits est passé de 12,4 millions en 2004 à plus de 17,5 millions en 2010. Ce phénomène s’explique principalement par la décision qui a été prise de « compléter » les listes électorales entre 2008 et 2010 au lieu d’organiser une réinscription complète, ce qui aurait été bien plus judicieux si les systèmes nécessaires à la collecte des données avaient été en place.
La raison la plus souvent invoquée pour expliquer la diminution de la participation est la détérioration des conditions de sécurité, qui n’en est qu’en partie responsable. L’autre raison majeure est que les électeurs ne perçoivent pas le processus électoral comme un moyen leur permettant d’améliorer leur vie. Le processus, l’OGE et la démocratie sont considérés avec une défiance et un scepticisme croissants.
Acquisition et gestion des nouvelles technologies
Bien qu’étant un État fragile, l’Afghanistan est en mesure d’utiliser les nouveaux médias et les nouvelles technologies. Les téléphones portables sont répandus et l’utilisation d’Internet se développe. Comme dans la plupart des pays d’Afrique, il n’est pas nécessaire d’utiliser une technologie fixe avant de passer au niveau supérieur. Malheureusement, des restrictions budgétaires, à la fois initiales et récurrentes, ont empêché la CEI de saisir cette opportunité. Les contraintes climatiques limitent également la capacité de la CEI à utiliser les nouvelles technologies.
Le déficit le plus marquant en termes d’utilisation des nouvelles technologies concerne le registre électoral, ou plutôt l’absence de registre. Comme indiqué précédemment, la méthode d’inscription des électeurs est défaillante. Il s’agit en réalité d’un document manuscrit indiquant la province ou le district de la personne, mais pas son adresse. La présence d’une photographie n’est pas obligatoire, les femmes ayant le droit de refuser d’être photographiées.
Dès 2006, il était prévu que la CEI établisse un registre d’état civil et électoral commun, en collaboration avec le ministère de l’Intérieur, afin de créer un système national d’identification au sein d’une base de données nationale exhaustive. La phase pilote de ce projet a permis d’utiliser et d’expérimenter deux technologies biométriques, la reconnaissance faciale et la reconnaissance de l’iris, en tant qu’outils de recherche pour la vérification et l’identification des doublons dans la base de données. Le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés a utilisé la technique d’identification par l’iris pour le rapatriement des réfugiés, mais la CEI n’est pas en mesure d’utiliser cette technologie. La reconnaissance faciale s’est avérée trop onéreuse et a été abandonnée. Depuis 2007, le ministère de l’Intérieur indique qu’il souhaite établir un registre d’état civil indépendant du registre électoral, mais cette approche s’avère tout aussi inefficace à ce jour. Un plan modifié d’inscription des électeurs a de nouveau été envisagé et de nouvelles cartes d’électeur ont été émises sous la pression du PNUD-ELECT, ce qui n’a pas permis d’empêcher efficacement les inscriptions multiples ou par procuration.
Pouvoirs et fonctions
La CEI dispose de certains attributs fondamentaux d’un OGE impartial et indépendant, mais pas tous. Elle est chargée de l’inscription des électeurs et de la conduite des élections, ainsi que de la gestion des désignations, des scrutins, du dépouillement et de la proclamation des résultats. Elle n’est pas chargée de l’enregistrement des partis politiques, qui incombe au ministère de la Justice. L’OGE n’est pas habilité à délimiter les circonscriptions, ce qui continue à poser problème pour l’organisation des élections aux conseils de district.
La CEI joue également un rôle clé dans l’évaluation des liens des candidats avec les groupes armés. Pourtant, la loi électorale dispose que l’IECC est l’arbitre final en ce qui concerne les candidats. Cet aspect du système a fait l’objet de nombreuses discussions et ingérences de l’exécutif. L’IECC a relativement bien assumé ses fonctions en 2005, conformément aux dispositions de la loi électorale, bien qu’elle ait été instaurée très tardivement. En 2009, la structure de l’IECC était la même qu’en 2005 ; elle comprenait trois étrangers et deux Afghans. Il s’agit cependant d’un organisme temporaire qui ne détient aucune mémoire institutionnelle. Au cours de l’élection de 2009, l’IECC a été vue comme le dernier bastion d’indépendance en raison des actions très discutables de la direction de la CEI. Elle a cependant perdu une grande partie de sa crédibilité lorsqu’elle a cherché à utiliser une méthode d’échantillonnage pour éliminer des bulletins de vote falsifiés. Elle a utilisé cette méthode sur les conseils de certains et du fait que la CEI refusait de recompter 10 % des bulletins de vote. Dans un quasi-retournement de situation, la CEI était plus indépendante en 2010, tandis que l’IECC semblait être à la solde de l’exécutif, notamment en ce qui concerne sa décision très discutable de ne pas être l’arbitre final des recours, comme l’exige la loi électorale. Le rôle de l’IECC restera le talon d’Achille de la gestion électorale en Afghanistan tant que la CEI ne sera pas en mesure de gérer les recours.
Financement
La CEI est une institution permanente. Ses activités quotidiennes et les scrutins sont techniquement financés par le budget national. Le personnel de direction est employé sous l’égide de la Commission afghane de la fonction publique. La CEI prépare son propre budget annuel et le budget électoral, qui sont soumis au ministère des Finances pour être validés par l’Assemblée nationale. Les donateurs acceptent ensuite de contribuer à la hauteur de leurs moyens au processus, en particulier à l’inscription des électeurs. C’est là tout le problème.
La fluctuation du financement de l’OGE a entravé son développement et affecte directement sa pérennité à long terme. Sous sa forme actuelle, le PNUD-ELECT II (le nouveau programme du PNUD, qui a débuté en 2012) est le vecteur de contribution privilégié par les donateurs, que ce soit pour le soutien des Nations Unies à la CEI ou pour ses coûts journaliers permanents. L’État afghan n’a pas la capacité budgétaire de maintenir la CEI ni de mener des programmes de grande ampleur tels que l’inscription des électeurs ou les élections. Il compte beaucoup sur l’aide des donateurs internationaux, dont l’utilisation et la distribution ont été fluctuantes.
Les coûts liés aux quatre cycles électoraux organisés à ce jour ne sont pas inattendus, mais leur fréquence a suscité des appels à un ajustement du calendrier électoral, ce qui nécessiterait une révision constitutionnelle. Le coût minimal estimé des quatre années électorales dépasse 758 millions USD : 105 millions USD en 2004 (le budget initial était de 130 millions USD), 168 millions USD en 2005 (le budget initial était de 159 millions USD) et plus de 485 millions USD en 2009 et 2010. Ces montants ne tiennent pas compte de la considérable contribution de la FIAS concernant la distribution et la récupération des matériels sensibles et la protection des forces de sécurité. Après son départ, ces coûts devront être assumés par le gouvernement afghan.
Responsabilité
Comme beaucoup de choses en Afghanistan, les fondamentaux ne sont toujours pas clairement établis. Le président de la République nomme et peut renvoyer le président, le vice-président et les autres membres de la CEI, ainsi que le DGE. Par le passé, ces nominations ont subi les caprices de l’exécutif. Bien que l’Assemblée nationale ait sollicité un rôle consistant à émettre un vote de confiance et à donner son aval à ces fonctions, elle ne l’a toujours pas obtenu. L’OGE évolue dans un vide juridique au sein de la machine gouvernementale. Le décret présidentiel n° 23 de 2005 sur la structure et le mode de fonctionnement de la CEI est toujours applicable. Le décret présidentiel n° 21, également adopté en 2005, désigne nommément les membres de la première CEI, mais ne définit aucun mécanisme de nomination durable. Depuis lors, le président s’est conformé à ce précédent, nommant les commissaires ou le DGE de manière unilatérale.
Un ancien DGE a par exemple été nommé trois jours après avoir été invité à soumettre son CV au palais présidentiel pour examen.
Le décret n° 21 fait référence à l’article 156 de la Constitution, qui évoque la création de la CEI, mais pas son organisme de tutelle. L’article 2 du décret indique que la CEI doit exercer ses fonctions en toute indépendance, mais ne précise toujours pas devant quel organisme elle est responsable. Du point de vue de la gouvernance, tous les services gouvernementaux, qu’ils soient indépendants ou non, doivent rendre compte de leur travail. La seule obligation de la CEI en la matière est la semaine annuelle de reddition de comptes organisée en mars, au cours de laquelle tous les organismes étatiques rendent compte de leurs réalisations dans les médias.
Les questions de responsabilité englobent également la pratique persistante qui consiste pour l’exécutif à attribuer au personnel électoral ce qui pourrait être perçu comme des « mandats de complaisance ». L’article 6 du décret n° 21 interdit clairement aux membres de la CEI « (d’être) nommés aux plus hautes fonctions officielles pendant une période d’un an ». Cette interdiction a été enfreinte à plusieurs reprises : le président a nommé un ancien DGE (2006-2010) au poste de ministre en 2010, alors que le moratoire de 12 mois était loin d’être terminé ; un président de la CEI (2007-2010) a été nommé au poste de président du Bureau supérieur de contrôle et de lutte contre la corruption en 2010, peu de temps après avoir démissionné ; le premier directeur du secrétariat du JEMB (2004) a été nommé au poste de secrétaire de cabinet au début de l’année 2005.
Professionnalisme
Au fil de l’évolution de l’OGE afghan, le renforcement des capacités a été appliqué de manière inégale. En 2003-2004, les notions d’homologues et d’association ont été largement utilisées. En 2005, alors que chaque poste international était doublé d’un homologue afghan et que le renforcement des capacités était considéré comme un objectif prioritaire, il n’était pas mis en œuvre de manière uniforme. Cette situation n’est malheureusement pas propre à l’Afghanistan. Le JEMB et la CEI se sont beaucoup appuyés sur la méthodologie « Bâtir des ressources en démocratie, gouvernance et élections » (Building Resources in Democracy, Governance and Elections, BRIDGE), ce qui a eu des retombées positives, bien que la formation BRIDGE ait souvent été une problématique interne, les sources extérieures ayant une influence minime. Au fil du temps, de timides mesures ont été prises en vue de la professionnalisation des agents électoraux. Il existe désormais une Association des agents électoraux afghans (Association of Afghan Election Officials), qui a été créée par le DGE adjoint de la CEI. Également ouverte aux personnes qui ne sont pas membres de la CEI, cette association est membre institutionnel associé de l’Association des administrateurs électoraux européens. Elle organise régulièrement des voyages d’études permettant aux agents électoraux d’étudier la manière dont les autres pays gèrent leurs OGE et leurs scrutins.
Il y a cependant des limites à ce que peuvent accomplir la formation et la participation à des réseaux si l’ingérence s’invite à tous les niveaux. En Afghanistan, des agents électoraux très expérimentés ont malheureusement cédé aux ingérences de l’exécutif et des autorités régionales. Outre le DGE et le président de la CEI, cinq DPE, possédant tous de nombreuses années d’expérience, ont été renvoyés suite aux élections de 2009. Plusieurs centaines de coordinateurs de district et plus de 6 000 agents électoraux ont également reçu l’interdiction de travailler à nouveau pour la CEI. Si la fraude était à son apogée en 2009, elle était également relativement élevée en 2005, mais les pressions politiques en faveur d’une élection réussie ont empêché toute enquête poussée. Les élections de 2010 ont été plus saines, notamment du fait que la CEI a rapidement invalidé plus de 1,3 million de bulletins de vote et que l’IECC a finalement choisi de ne pas s’occuper avec intransigeance de différentes questions..
Rapports avec les autres entités
L’OGE a eu des rapports mitigés avec les autres entités nationales et internationales. La communauté diplomatique a entretenu des relations avec la direction de la CEI, comme en témoignent les difficultés liées à l’élection de 2009 et le remplacement du président et du DGE en 2010. Ce phénomène est symptomatique de l’espace politique dans lequel l’OGE évolue. En définitive, les élections sont avant tout une activité politique, surtout en Afghanistan.
La CEI entretient essentiellement des relations avec le PNUD dans le cadre de son projet ELECT. Elle bénéficie parfois du précieux soutien d’autres entités telles que la Fondation internationale pour les systèmes électoraux (International Foundation for Electoral Systems, IFES) dans le cadre de son Programme de soutien au processus électoral en Afghanistan (Support to the Electoral Process in Afghanistan), qui est désormais terminé. Les rapports entre le PNUD-ELECT et la CEI ont parfois été extrêmement tendus, en partie à cause des personnalités impliquées, mais également du fait de perceptions profondément contradictoires de la mise en œuvre du programme. La relation était au plus bas lors des élections de 2009 et de l’assassinat de membres du personnel du PNUD-ELECT à Kaboul, mais elle s’est considérablement améliorée avec la nomination d’un nouveau DGE de la CEI et d’un nouveau CTA du PNUD-ELECT en 2010. En 2011, le DGE a indiqué à l’IFES qu’il n’avait plus besoin de conseillers supplémentaires.
D’autres organisations à financement international ont continué à soutenir la CEI, notamment The Asia Foundation (de par son rôle dans la mise en œuvre de la formation BRIDGE) ; des instituts de renforcement des capacités des partis, principalement l’Institut national démocratique chargé de la formation des clients pour la CEI ; des partis politiques, des candidats et leurs agents. Cependant, ce soutien annexe dépend tout autant des donateurs, et l’arrêt des programmes en question a un impact considérable. Sur le plan national, la CEI et le principal organisme de surveillance électorale, la Fondation pour des élections libres et justes en Afghanistan (Free and Fair Election Forum of Afghanistan), ont eu des rapports difficiles. En effet, la Fondation a parfois fait état de problèmes sans consulter la CEI au préalable. Cette dernière a quant à elle réagi à ces comptes rendus d’une manière peu conforme aux principes de liberté d’expression et de transparence.
Pérennité
La viabilité de la CEI a fait l’objet d’un débat permanent, les différents acteurs internationaux ayant parfois hésité quant aux modalités de financement. Cette situation a eu un impact négatif, comme on a pu le constater au début de l’année 2006. Quoi qu’il en soit, la CEI est une institution permanente qui a élaboré des plans stratégiques, des budgets et des plans d’intervention d’urgence opérationnels, ce qui démontre sa maturité administrative interne. En 2012, la CEI a publié son dernier plan stratégique en date.
Diverses tentatives ont été faites pour réformer le modèle opérationnel de l’OGE. La CEI doit être présente dans l’ensemble des 34 provinces, pas seulement à Kaboul, et disposer de huit bureaux régionaux. À l’époque du JEMB, la CEI fonctionnait depuis les bureaux des Nations Unies. En 2006, elle a établi son siège à Kaboul. Les 34 bureaux provinciaux ne sont pas tous installés dans des bâtiments autonomes et certains sont encore basés dans des structures publiques. Au total, la CEI compte environ 405 agents afghans hors période électorale et ce chiffre augmente de manière significative en période électorale. Le nombre d’agents temporaires a diminué, passant de plus de 120 000 lors de précédentes élections à 86 000 agents électoraux lors de l’élection de 2010.
Le budget actuel (2012-2014), qui ne comprend pas l’inscription des électeurs, atteint environ 60 millions USD, ce qui englobe à la fois le personnel du PNUD-ELECT et celui de la CEI.
Défis et opportunités
Il convient d’évaluer le défi consistant à soutenir un OGE viable et indépendant à la lumière des méthodes qui n’ont pas bien fonctionné par le passé. La notion de réforme électorale constitue une partie de la réponse, en particulier le fait que les législateurs adoptent une loi, idéalement élaborée en consultation avec l’OGE et les principales parties prenantes. Le système électoral est un sujet épineux. Le fait que la communauté des donateurs s’engage à financer les activités de base de l’OGE entre les années électorales assurerait la continuité. Il est essentiel de prendre des décisions importantes et difficiles sur les solutions permettant de créer des listes électorales viables, soit par le biais d’une opération d’inscription des électeurs soit par le biais d’une opération d’inscription à l’état civil menée par le ministère de l’Intérieur, avec le soutien de l’OGE. Malheureusement, ces solutions ont été envisagées à plusieurs reprises, mais la diminution de la participation électorale est une préoccupation majeure à laquelle il faut remédier. Les membres de haut rang doivent être nommés dans le cadre d’un processus impartial et transparent, approuvé par l’Assemblée nationale. Ceci permettra peut-être de renouveler la confiance de la population dans les institutions démocratiques. Tous les membres de l’OGE doivent être strictement apolitiques. En effet, un OGE partisan ne fonctionnerait pas en Afghanistan. Il est probable que des questions telles que l’égalité des sexes ou la participation des minorités, notamment des personnes handicapées, passent au second plan jusqu’à ce que ces questions clés soient résolues.