Lorsque l’on envisage de recourir à la technologie, il est important de procéder à une évaluation générale de son impact sur la qualité globale des élections, ce qui nécessite un examen réaliste de la nature des problèmes que l’on cherche à résoudre. Par exemple, un système d’inscription des électeurs n’est ni plus ni moins qu’un outil permettant à des agents électoraux honnêtes de savoir si un individu donné a le droit de voter. Investir dans de nouveaux systèmes et processus d’inscription constitue un gaspillage des ressources si le véritable problème est la malhonnêteté, la corruption ou l’intimidation des agents électoraux qui les amène à distribuer les bulletins sans consulter la liste électorale.
Cet exemple suggère que les solutions technologiques conviennent mieux aux pays où les élections sont raisonnablement bien conduites, mais où il est judicieux de renforcer la confiance ou l’efficience, plutôt qu’aux démocraties bien établies (où leur impact sur la qualité globale des élections risque de n’être que marginal) ou aux contextes véritablement difficiles (où éliminer la fraude d’un aspect du processus électoral la fera resurgir dans un autre).
Systèmes électoraux
Chaque type de système électoral soulève des problèmes différents de pérennité politique, sociale et financière, et exerce un impact crucial sur le découpage électoral, les processus d’inscription des électeurs, les besoins en éducation et en information de l’électorat, la conception et la production des bulletins de vote, le nombre de jours de scrutin et la nécessité de tenir des élections partielles. Ces questions sont abordées en détail dans la publication d’IDEA international intitulée « La conception des systèmes électoraux : un manuel de International IDEA » de 2005. Les systèmes basés sur des circonscriptions électorales de petite taille, par exemple, pourront s’avérer plus onéreux parce qu’ils nécessitent des procédures de découpage spécifiques, des bulletins distincts pour chaque circonscription, une inscription des électeurs de grande précision, la prévention de la fraude électorale et un OGE dont la structure administrative soit capable de gérer chaque circonscription comme une entité distincte. Les grandes circonscriptions électorales plurinominales, quant à elles, pourront nécessiter des systèmes de dépouillement complexes et coûteux, parfois difficiles à gérer avec exactitude et transparence, et entraîner des coûts élevés de transport et de logistique. Les tenants de chacun de ces systèmes électoraux avancent en leur faveur des arguments de pérennité sociale et politique qu’il convient de mesurer attentivement à l’aune des conditions spécifiques du pays.
Découpage électoral
Il est possible de revoir la fréquence et la forme du découpage électoral pour augmenter les chances de pérennité. Confier cette tâche aux OGE peut supprimer les coûts de sa prise en charge par un organisme distinct. D’un autre côté, si le gouvernement possède déjà un bureau de cartographie servant à d’autres fins, il peut être inutile que l’OGE en duplique les capacités. Les coûts peuvent également être réduits par le recours à une cartographie électronique simple et à des bases de données démographiques pour délimiter les circonscriptions électorales et rationaliser les processus et les périodes de révision. L’adoption de circonscriptions électorales plurinominales basées sur des délimitations administratives existantes peut réduire considérablement les coûts du découpage électoral, voire les supprimer intégralement. Mais le découpage est une question politiquement sensible qu’il convient donc de mettre en œuvre d’une manière politiquement pérenne.
Inscription des électeurs
Le coût de la mise en place et de la gestion des listes électorales peut varier considérablement en fonction du système utilisé et de ses composantes. La méthode de collecte des données peut exercer un impact important sur les coûts et l’exactitude des listes et donc sur leur pérennité politique. Par exemple, les données pourront être recueillies spécifiquement pour l’inscription des électeurs ou bien extraites d’une base de données existante ; l’inscription pourra être permanente ou procéder d’un recensement préélectoral national ; l’OGE devra contacter les électeurs ou inversement ; des cartes d’électeurs seront ou non distribuées ; les électeurs bénéficieront de différentes opportunités de recours pour éliminer les inexactitudes dans les listes électorales. L’emploi d’une technologie pour l’inscription des électeurs (enregistrement de données d’identité telles que les empreintes digitales et les photographies, utilisation de documents dotés de codes-barres, synchronisation des bases de données pour actualiser les informations, ou production de listes électorales dotées de photographies et/ou d’autres données biométriques ou de codes-barres) pourra également présenter un coût élevé.
Assurer l’exactitude des listes électorales coûte cher. Chaque OGE doit déterminer les contrôles à appliquer aux listes électorales ainsi que ceux qui risquent de s’avérer redondants et que l’on peut éliminer pour abaisser les coûts, compte tenu du niveau de confiance du public et des contrôles de lutte contre la fraude déjà en place. La comparaison des données des listes électorales aux informations émanant d’autres organisations gouvernementales peut faciliter la gestion rentable des listes électorales, mais aussi susciter des inquiétudes quant à la confidentialité des données. S’il est possible de compiler les listes électorales à partir d’une base de données d’état civil nationale fiable et politiquement acceptable, comme au Sénégal ou en Suède, ou si l’enregistrement des naissances et des décès est informatisé et accessible aux OGE, les coûts chuteront considérablement. L’inscription permanente des électeurs peut constituer une autre mesure de réduction des coûts à long terme.
Les conditions locales constituent les principaux facteurs à prendre en compte pour choisir le mécanisme d’inscription des électeurs le plus viable pour un pays donné. Des listes électorales stables et actualisées en permanence sont à privilégier lorsque les informations permettant leur mise à jour proviennent d’autres administrations qui ont accès à des données exactes provenant de sources fiables, ou lorsqu’il existe une forte culture de respect par les électeurs de l’obligation de prévenir les services de l’État de tout changement dans leur situation, tel qu’une nouvelle adresse. En l’absence de ces deux facteurs, les listes deviennent rapidement obsolètes et un processus de mise à jour périodique, impliquant des efforts majeurs de saisie des informations, peut s’imposer.
La facilité avec laquelle ce type d’opération intensive de mise à jour peut être mis en place dépend d’une multitude de facteurs, notamment le climat, la superficie et les caractéristiques géographiques du pays, la taille, la répartition et les déplacements de sa population, la langue, l’infrastructure en matière de transport, de logistique, de services postaux, de communication, d’énergie, de finances et de contacts avec le public, l’existence d’un personnel doté des compétences requises, l’existence de ressources financières et techniques à court et long termes, le climat politique (notamment le degré de confiance dans les processus et les institutions électoraux), des facteurs locaux susceptibles de favoriser les inscriptions frauduleuses (notamment la motivation politique ou financière à créer des fausses identités), les problèmes de sécurité, les délais d’approvisionnement, les contraintes en matière d’entreposage et de distribution, ainsi que les restrictions de tous ordres susceptibles d’influer sur la participation des femmes ou des membres de groupes minoritaires. Si les dates de scrutin sont fixes et éloignées les unes des autres, la mise à jour permanente des listes électorales s’avérera peut-être inutile. En revanche, si le système électoral en vigueur est fondé sur des circonscriptions et qu’il faut tenir fréquemment des élections partielles entre les élections générales pour remplir des postes vacants, elle sera judicieuse.
Scrutin
Dans tous les pays, la préparation et la conduite du scrutin lors d’une élection générale ou d’un référendum constituent des événements nationaux importants dont l’efficacité d’exécution exige un budget considérable. L’évaluation rigoureuse du nombre de bureaux de vote, de l’effectif humain et du matériel nécessaires à chaque élection peut contribuer à en diminuer les coûts. S’il est possible d’assurer la sécurité, l’intégrité et un bon niveau de service, le regroupement des bureaux de vote des zones à forte densité de population permet de réaliser des économies importantes. L’amélioration de l’affectation des tâches aux employés, de l’agencement des bureaux de vote et de la formation du personnel permet de réduire le nombre d’agents électoraux sans abaisser le niveau de service. Pour diminuer les coûts, les pays dont les élections durent deux jours ou davantage peuvent également envisager d’allonger la durée quotidienne d’ouverture des bureaux de vote. Il convient de comparer toute réduction envisagée du nombre de jours ou d’heures de scrutin aux schémas d’horaires de travail du pays pour ne pas priver certains électeurs de la possibilité de voter.
Les approches d’amélioration de l’accès aux urnes et au vote de manière générale grâce à des dispositifs tels que le vote par correspondance (comme en Australie et en Espagne), le vote à l’étranger et la prestation de services de vote spéciaux dans les prisons, les hôpitaux et sur les navires, ont contraint les OGE à mettre à la disposition des électeurs des services relativement plus coûteux. Ces activités, notamment si elles impliquent le vote à distance à grande échelle ou sur plusieurs zones géographiques des réfugiés ou d’autres personnes (comme en Afghanistan, en Bosnie-Herzégovine, en Égypte, en Iraq et en Tunisie), peuvent fragiliser la pérennité financière des processus électoraux. Cette hausse du coût des élections est toutefois compensée par les responsabilités sociales incombant aux OGE et la légitimité politique supplémentaire issue de la possibilité pour ces électeurs d’exercer leur droit de vote. Toute opération de ce type comporte un risque : en cas de faibles taux d’adoption, le coût par électeur extrêmement élevé peut susciter des critiques et détourner les parties prenantes de ces processus. En Australie, les systèmes de vote électronique mis en place en 2007 pour les aveugles, les malvoyants et les militaires cantonnés à l’étranger ont fini par être abandonnés pour des raisons de coût.
Le développement d’Internet partout dans le monde a soulevé la question de savoir si le vote à distance par ce biais répondrait mieux aux besoins de larges catégories d’électeurs. Globalement, Internet n’a pas suscité dans ce contexte le même engouement que dans la plupart des autres domaines de l’activité humaine. L’Estonie est le seul pays où les processus électoraux nationaux reposent principalement sur Internet. Cette situation reflète la controverse actuelle, issue de préoccupations techniques et sociologiques, concernant la capacité du vote sur Internet à satisfaire aux tests élémentaires en matière de secret du vote, de sécurité et d’intégrité.
L’obligation perçue de mettre plusieurs modalités de scrutin différentes à la disposition d’électeurs aux besoins divers peut constituer un lourd fardeau pour le département des OGE responsable de l’élaboration et de la mise en œuvre des politiques en matière de vote et de dépouillement : chaque modalité risque de nécessiter un ensemble de procédures, d’instructions et de matériels de formation spécifiques, par exemple, dont le travail d’élaboration ne dépendra pas du nombre d’électeurs appelés à l’utiliser.
La formation du personnel des OGE est souvent onéreuse et les gouvernements ou les OGE eux-mêmes n’hésitent pas à rogner sur ce poste quand ils étudient leurs budgets électoraux. Pourtant, une formation inadéquate risque de se solder par une hausse des coûts financiers et politiques du fait des mauvaises performances du personnel, voire de ternir la crédibilité du processus électoral, et d’avoir des répercussions à long terme sur la réputation et la pérennité des OGE.