Kåre Vollan
Il n’existe pas d’OGE unique en Norvège. La responsabilité administrative et juridique des élections est partagée verticalement par une décentralisation du niveau national vers le niveau local et horizontalement entre les organismes centraux. Il n’existe pas de structure unique au sein de laquelle les pouvoirs des organismes locaux découleraient d’un organisme central. Au niveau central, le ministère des Collectivités locales et du Développement régional (ci-après le « ministère ») exécute la plupart des tâches fondamentales d’un OGE. Toutefois, une Commission électorale nationale (Riksvalgstyret, CENN) est dotée de pouvoirs limités et le Parlement a le dernier mot en certifiant ses propres membres, c’est-à-dire en validant leur élection.
Élections en Norvège
Les élections aux assemblées se déroulent à trois niveaux de l’administration :
- le Parlement (Stortinget) au niveau national ;
- les 18 assemblées de comté (fylkesting) ;
- les 429 conseils municipaux (kommunestyrer)
La capitale, Oslo, est à la fois un comté et une municipalité. Le conseil municipal y exerce l’autorité aux deux niveaux. Les élections au Parlement sáme (Sametinget), qui est une assemblée représentative élue par les populations autochtones lapones conformément à une loi de 1987 (Sameloven), sont exclues du champ de cette étude.
Sur les 169 députés du Parlement, 150 sont élus à la proportionnelle en tant que représentants de comté, tandis que les 19 autres sont élus en tant que membres à mandat général à des sièges compensatoires pour équilibrer tout décalage par rapport au résultat proportionnel de l’ensemble du pays. Le mandat de toutes les assemblées élues est de quatre ans. Leur renouvellement s’effectue par roulement, les élections de comté et les élections municipales ayant lieu simultanément, deux ans après les élections parlementaires. Aucune assemblée ne peut être dissoute et il n’y a pas d’élections partielles. Les élections peuvent donc être planifiées longtemps à l’avance.
Contexte
La Norvège est dotée d’un parlement élu depuis 1814, que les Norvégiens élisent au suffrage direct depuis 1906. Le droit de vote a été accordé à tous les hommes en 1898 et aux femmes en 1913. L’élection au suffrage direct des conseils municipaux a été introduite en 1836 (le droit de vote restant limité).
L’administration électorale n’a jamais été considérée comme un service différent des autres services publics et la conduite des élections a de ce fait été laissée aux mains des organes administratifs issus des urnes. Les élections locales et parlementaires sont conduites par les autorités locales élues, avec l’appui de l’administration locale.
Jusqu’en 1985, les autorités électorales correspondaient aux comités exécutifs des conseils municipaux, élus à la proportionnelle par les conseils et composés de conseillers municipaux. Ces comités constituaient la plus haute autorité politique de la municipalité et étaient dirigés par le maire. Ils nommaient à leur tour le personnel des bureaux de vote avec l’appui de l’administration municipale. Ils organisaient le scrutin pour toutes sortes d’élections. Pour les élections municipales, ces comités octroyaient aux candidats les certificats confirmant leur élection.
Les comités électoraux de comté étaient élus à la proportionnelle par les assemblées des conseils de comté . Ils étaient chargés de collecter les procès-verbaux des résultats électoraux auprès des comités exécutifs municipaux lors des élections aux assemblées de comté et au Parlement. Ils devaient également émettre les certificats destinés aux membres élus à l’assemblée du comté et au Parlement.
Lors de sa première séance, le Parlement reconnaissait la validité des élections. Toute réclamation était traitée par le comité exécutif pour les élections municipales, par le comité électoral de comté pour les élections des assemblées de comté et par le Parlement lui-même pour les élections parlementaires. À chaque élection, le ministère émettait des directives et des instructions et supervisait le scrutin si nécessaire.
En 1985, une nouvelle loi électorale fut adoptée, consolidant pour la première fois les dispositions en matière électorale aux trois échelons administratifs. Auparavant, il existait une loi pour les élections parlementaires et une autre pour les deux niveaux locaux. Le principal changement dans l’administration électorale fut l’instauration de la CENN. Cet organisme nommé par le gouvernement se compose de représentants de tous les partis ayant des députés au Parlement (il s’agit là d’un usage et non d’une loi). L’instauration de la CENN ne répondait pas à un besoin identifié d’un OGE indépendant, mais plutôt à la nécessité de disposer d’un organisme chargé d’allouer les sièges compensatoires, créés par cette loi, au niveau national. Par la suite, la validation des élections parlementaires était assurée par la CENN, même si le dernier mot quant à la validité de ces élections revenait toujours, partiellement ou entièrement, au Parlement lui-même, la CENN n’ayant pas reçu de mandat général pour surveiller ou superviser les élections.
Une nouvelle loi électorale a été adoptée en 2002. En dépit des changements drastiques proposés au sein de l’administration électorale, cette loi a avant tout simplifié les textes juridiques en vigueur. Elle a toutefois introduit d’importants changements quant au système de représentation et à la conduite des élections. La modification la plus importante en matière d’administration électorale a consisté à investir la CENN de l’autorité nécessaire pour décider des recours relatifs aux élections parlementaires déposés à tous les niveaux. Pour les recours concernant le droit de vote, c’est le Parlement qui représente le dernier ressort, mais dans tous les autres cas (à l’exception des poursuites pénales à l’encontre de personnes physiques), c’est la CENN qui dispose de ce pouvoir. Le Parlement continue à statuer sur la validité d’une élection et à décider de la nécessité de procéder à une nouvelle élection. Au niveau local, le conseil municipal décide désormais soit de confier l’administration des élections au comité exécutif, soit d’élire un comité électoral municipal ad hoc. Dans ce dernier cas, la composition politique du comité électoral doit refléter celle du conseil municipal, à l’instar des autres commissions du conseil. Les candidats à l’élection peuvent siéger au comité électoral, même si la municipalité a nommé un comité ad hoc.
Cadre législatif et institutionnel
Les élections sont régies par la Constitution et par la loi électorale de 2002. Les dispositions constitutionnelles ne concernent que les élections parlementaires. Elles confèrent la responsabilité de la conduite des élections aux municipalités et disposent que la tenue des registres électoraux et la conduite des scrutins sont réglementées par la loi. La Constitution établit le rôle du Parlement dans la validation des mandats de ses membres nouvellement élus et lui donne le pouvoir de décider des recours formulés contre les décisions dans les contentieux concernant le droit de vote.
Suite à un nouvel amendement en 2005, la loi électorale définit les organismes électoraux suivants :
- les comités électoraux, élus par les conseils municipaux ;
- les commissions de bureaux de vote, nommées par les conseils municipaux ou, sur décision de ces derniers, par le comité électoral ;
- les comités électoraux de comté, élus par les assemblées de comté ;
- la Commission électorale nationale, nommée par le gouvernement lors de la tenue des élections parlementaires.
Les deux premiers organismes jouent un rôle dans toutes les élections. Le comité électoral de comté intervient dans les élections aux assemblées de comté et au Parlement et la CENN n’intervient que lors des élections parlementaires.
Une loi sur les partis, votée séparément en 2005, régit entre autres l’enregistrement des candidats aux élections. L’organe administratif national chargé de tenir le registre des sociétés est administrativement responsable de l’enregistrement des partis. Une commission, présidée par un juge, est nommée par le gouvernement pour décider des recours relatifs à l’enregistrement et au financement des partis.
La compétence administrative pour conduire les élections est donc fortement décentralisée. Il n’existe au niveau central qu’un seul organisme multipartite, la CENN, disposant d’une autorité limitée. La plupart des autres tâches d’envergure nationale sont assumées par le ministère. Toutefois, d’autres organes administratifs jouent un rôle dans les élections. Les listes électorales sont extraites des registres d’état civil administrés par une unité placée sous l’autorité du Trésor public. Des recours peuvent être portés devant un comité nommé par le ministère.
Ministère des Collectivités locales et du Développement régional
En matière d’élections, la responsabilité du ministère s’étend à trois domaines :
- Les lois, règles et règlements. Cela inclut la préparation de toutes les modifications apportées aux lois régissant les élections, la publication d’instructions détaillées s’inscrivant dans le cadre juridique, ainsi que l’assistance aux administrateurs électoraux et au grand public dans l’interprétation de la loi et des instructions ;
- La conduite des élections.Les fonctions du ministère incluent la présentation d’instructions détaillées, notamment la définition des procédures électorales ; la production du matériel électoral, y compris les formulaires et la conception des bulletins de vote ; l’information du personnel électoral ; la transmission de directives aux administrateurs locaux, et notamment de modèles de comptes rendus ; les campagnes d’éducation des électeurs ; l’approbation des dispositifs de vote électronique ; la coordination des flux d’information concernant les résultats du scrutin, en partenariat avec les médias et les sociétés informatiques privées ; les fonctions de secrétariat de la CENN ; la préparation de toute contestation liée aux élections parlementaires pour décision finale du Parlement ; le traitement des recours relatifs aux élections locales (en dernier ressort). Le cas échéant, le ministère peut ordonner l’organisation d’une nouvelle élection si des irrégularités ont entaché les résultats ;
- Le budget et le contrôle budgétaire. Le ministère gère et contrôle le budget électoral au niveau central uniquement, tandis que les coûts principaux sont imputés au niveau local. Il n’y a pas de supervision des coûts totaux des élections. Le budget correspondant aux charges propres au ministère s’élevait à environ 6 millions d’euros pour 2013. Le ministère emploie 16 personnes pour travailler sur les élections, un chiffre en nette hausse par rapport aux années précédentes. Cette évolution a été rendue nécessaire par le recours aux technologies de l’information et de la communication (TIC) pour concevoir un système d’administration électorale centralisé. Les comités électoraux au niveau municipal sont les principales autorités chargées de maintenir un personnel électoral qualifié.
La Commission électorale nationale
La CENN n’est pas un organisme permanent et son mandat prend fin lorsque les élections parlementaires sont validées. Elle compte au moins cinq membres. Chaque parti siégeant au Parlement propose un homme et une femme : le gouvernement nomme l’un d’eux en qualité de membre et l’autre en qualité de suppléant. L’autorité de la CENN se limite à :
- distribuer les sièges compensatoires nationaux ;
- délivrer des certificats destinés à tous les membres élus du Parlement et communiquer les résultats aux comités électoraux de comté ;
- traiter les contestations. Concernant les affaires relatives au droit de vote ou à la validité d’une élection parlementaire, le Parlement intervient en dernier recours, après avoir entendu la CENN ; dans les autres affaires, c’est la CENN qui décide en dernier ressort.
Réforme de la gestion électorale
Les nouvelles lois électorales de 1985 et 2002 font suite à un débat politique sur les questions relatives aux systèmes de représentation. Dans les deux cas, le gouvernement a nommé des commissions composées d’experts et de représentants politiques, chargées de proposer des réformes. La structure de la gestion électorale a été évaluée par la Commission sur la réforme électorale, qui a rendu son rapport en 2001. S’inspirant du modèle britannique, elle a proposé de créer une commission électorale indépendante principalement chargée de fonctions politiques et de quelques tâches administratives. Cette proposition se fondait plus sur les avantages supposés d’un organisme se focalisant principalement sur la réforme électorale, laissant la gestion des élections aux organes ordinaires de l’administration gouvernementale, que sur un appel à une plus grande indépendance de l’administration électorale. Une telle commission rapprocherait néanmoins la Norvège des tendances internationales et des principes recommandés dans les nouvelles démocraties. La proposition n’a pas reçu beaucoup de soutien, notamment parce que les dispositifs actuels sont efficaces. Une seconde proposition de réforme visait à transférer les activités administratives du ministère en matière électorale au département des autorités fiscales chargé de la tenue du registre d’état civil ; elle n’a pas non plus été retenue.
En 2010, le ministère a pris deux initiatives visant d’une part à réformer l’administration centrale de l’assistance électorale et d’autre part à apporter quelques modifications à la loi électorale. Sur le plan administratif, une direction gouvernemen-tale avait rendu un rapport suggérant la création d’une unité électorale centrale ayant le statut d’une direction, qui garanti-rait une certaine indépendance politique vis-à-vis du ministère et qui assumerait la plupart des tâches dévolues à ce dernier. Il était également annoncé qu’il faudrait à l’avenir intensifier l’élaboration et l’essai de nouvelles technologies électorales. Le rapport suggérait par ailleurs de confier l’autorité en matière de contentieux, qui appartient aujourd’hui au ministère, à un comité ad hoc. Le ministère a sollicité l’opinion des parties prenantes concernant ces suggestions, mais celles-ci n’ont pas encore donné lieu à une proposition de loi formelle au Parlement.
S’appuyant en partie sur les commentaires de la mission de l’OSCE/BIDDH chargée d’évaluer les élections parlementaires de 2009, le ministère a proposé plusieurs révisions de la loi qui ont été adoptées par le Parlement en 2012. La modification la plus pertinente prévoit que les candidats ne peuvent plus siéger aux comités électoraux ou être employés dans les commissions de bureaux de vote.
Nouvelles technologies
Trois municipalités et le Spitzberg ont procédé à des essais de vote électronique dans les bureaux de vote lors des élections locales de 2003. Une commission gouvernementale a ensuite présenté un rapport proposant une stratégie de vote électronique en février 2006. La commission ayant notamment proposé d’essayer le vote par Internet, le ministère a lancé un vaste projet de TIC, intégrant un système d’administration électorale et le déploiement de ce mode de vote dans dix municipalités au cours des élections locales de 2011. Le principe consistant à autoriser le vote par Internet dans des environnements non contrôlés ne fait pas l’unanimité au sein de la classe politique, et la décision de poursuivre ou non un déploiement à grande échelle reste à prendre.
Défis et opportunités
L’approche norvégienne en matière de gestion électorale n’a jamais été sérieusement contestée par les partis politiques. D’une manière générale, l’administration gouvernementale jouit d’une grande confiance fondée sur son intégrité et son indépendance, bien qu’elle soit assurée par des ministres nommés par le pouvoir politique. L’organisation des élections par une administration indépendante n’est pas jugée nécessaire. Les rares occurrences de graves erreurs (le système informatique de marquage des registres électoraux est par exemple tombé en panne à Oslo durant les élections parlementaires de 1993) ont été considérées comme des problèmes accidentels. Aucune difficulté fondamentale n’a été soulevée jusqu’à présent concernant l’organisation des élections.
Le proverbe « le mieux est l’ennemi du bien » s’est jusqu’ici révélé déterminant dans les prises de décision sur l’administration électorale en Norvège.