Vincent Tohbi
Contexte
Le Sénégal est une démocratie subsaharienne qui organise des élections régulièrement depuis son indépendance en 1960. Bien que la Constitution de 1963 reconnaisse le multipartisme, les réformes constitutionnelles de 1976 et de 1978 ont mis fin au système à parti unique et ouvert la scène politique à des élections pluralistes.
Les élections de 1983 et de 1988 ont toutefois été marquées par des violences généralisées. La Commission de réforme du Code électoral, créée par le président de l’époque, Abdou Diouf, a émis des recommandations en 1992 qui ont été adoptées sous forme de loi par l’Assemblée nationale :
- abaissement de l’âge légal du droit de vote de 21 à 18 ans ;
- obligation d’utiliser des isoloirs pour voter ;
- obligation de présenter sa carte d’électeur au moment de voter ;
- obligation d’utiliser une encre indélébile ;
- mise en place de nouvelles listes électorales nationales sous la supervision des partis politiques ;
- autorisation de la surveillance du processus de vote par des agents des partis dans les bureaux de vote ;
- obligation de distribuer les cartes d’électeur en présence des représentants des partis ;
- création d’une commission nationale (et provinciale) chargée du recensement des votes, laquelle est dirigée par un magistrat et composée de représentants des partis ;
- obligation d’organiser les élections législatives et présidentielles à des dates différentes ;
- gestion des contentieux électoraux confiée à la Cour d’appel ;
- combinaison du scrutin majoritaire uninominal au niveau départemental et de la représentation proportionnelle au niveau national lors des élections législatives pour favoriser la représentation des petits partis.
Ce nouveau Code électoral n’a cependant pas empêché le pays de connaître de nouvelles contestations des élections prési-dentielles et législatives en 1993 et des élections locales en 1996. De nouvelles réformes ont été débattues et adoptées, et un Observatoire national des élections a été créé en 1998, qui deviendra la Commission électorale nationale autonome (CE-NA) en 2005.
Les OGE
Contrairement à bien d’autres pays africains, plusieurs institutions se répartissent les différents aspects de la gestion des élections au Sénégal.
Ministère de l’Intérieur
Le ministère a toujours été la pierre angulaire de la gestion des élections au Sénégal, un héritage de la tradition administrative française, dont le Sénégal est une ancienne colonie. Le ministère de l’Intérieur collabore avec les gouverneurs et les autorités locales, c’est-à-dire les préfets et les sous-préfets. En 1997, la responsabilité de la gestion électorale a été transférée à la Direction générale des élections du ministère de l’Intérieur. Le décret n° 2003-292 du 8 mai 2003 a réorganisé les missions de la Direction générale des élections, en lui confiant les fonctions suivantes :
- établissement et révision des listes électorales ;
- élaboration et tenue de tous les documents et archives liés aux élections ;
- organisation et suivi de la distribution des cartes d’électeur ;
- supervision de l’impression des bulletins de vote ;
- aide aux services de sûreté pour garantir la sécurité des opérations électorales ;
- formation des administrations institutionnelles en charge des divers aspects du processus électoral, notamment le pouvoir judiciaire ;
- éducation des électeurs ;
- utilisation des nouvelles technologies informatiques ;
- analyse des élections.
Ministère des Affaires étrangères
Le ministère travaille sous la supervision du ministère de l’Intérieur pour les questions relatives au vote des Sénégalais de la diaspora. Il possède les mêmes fonctions que ci-dessus.
Commission électorale nationale autonome
Afin d’améliorer la confiance des partis dans la gestion des élections par le ministère de l’Intérieur et par des fonctionnaires qui peuvent ne pas être impartiaux, les partis politiques sont parvenus à un consensus confiant la supervision des activités électorales ministérielles à la Commission électorale nationale autonome (CENA). En vertu de la loi n° 2005-07 du 11 mai 2005, elle a pour rôle :
- de superviser et de contrôler la création des listes électorales ;
- de superviser et de contrôler l’acquisition, l’impression et la distribution des cartes d’électeur ;
- de mettre les listes électorales à la disposition des partis ;
- de superviser les scrutins et toutes les activités relatives aux élections ;
- de superviser la collecte, le recensement et la centralisation des résultats ;
- d’émettre des recommandations visant à améliorer le processus électoral.
La CENA comprend 12 membres neutres et indépendants, nommés par décret présidentiel après consultation de diverses institutions. Ils sont nommés pour un mandat de six ans renouvelable par tiers tous les trois ans. La Commission dispose de représentants dans les régions et les départements et dépêche des membres dans chaque bureau de vote les jours de scrutin. Elle comprend actuellement un service technique de 48 personnes.
Commission nationale de recensement des votes
La Commission nationale de recensement des votes (CNRV) a été créée dans le cadre des réformes de 1992 susmentionnées. Il existe par ailleurs 14 commissions régionales et 45 commissions départementales. La Commission nationale est dirigée par le président de la Cour d’appel assisté de deux juges. Chaque parti, liste de parti ou candidat compte un représentant à la Commission nationale. Chaque commission régionale est dirigée par le président du tribunal régional et composée de deux juges ainsi que d’un représentant de chaque parti et candidat. Chaque commission départementale est composée de trois magistrats nommés par la Cour d’appel et d’un représentant de chaque parti ou candidat.
Conformément aux articles LO.134, LO.182, L.217, L.218 et L.219 du Code électoral de 1992, la CNRV procède au recensement des votes à partir des procès-verbaux envoyés par chacun des bureaux de vote. Contrairement aux commissions départementales, la commission nationale et les commissions régionales peuvent déclarer la nullité des résultats ou ordonner l’examen du procès-verbal de chaque bureau de vote. La Commission nationale annonce les résultats provisoires des élections présidentielles et législatives.
Conseil national de régulation de l’audiovisuel
Le Conseil national de régulation de l’audiovisuel (CNRA) a été créé par la loi n° 2006-04 du 4 janvier 2006. Il est composé de neuf membres indépendants, choisis parmi des universitaires, des professionnels des médias, des membres d’ONG et des artistes, entre autres. Sa mission consiste à réguler les stations de radio et les chaînes de télévision publiques lors des processus électoraux et à veiller à l’égalité de l’accès des partis politiques et des candidats aux médias.
Financement et responsabilité des OGE
Toutes les institutions présentées ci-dessus sont financées par l’État. Le Sénégal ne dépend pas de financements extérieurs pour la gestion électorale. L’État couvre l’intégralité des coûts liés aux élections. Cependant, il existe quelques projets complémentaires ou bilatéraux qui reçoivent l’appui de donateurs (éducation des électeurs et sécurité, par exemple). Le ministère de l’Intérieur rend compte à l’État des questions financières et administratives.
La CENA a refusé que son budget soit inclus dans celui du ministère de l’Intérieur. Elle dispose aujourd’hui de son autonomie financière et rend compte à l’Assemblée nationale. La CNRV est placée sous l’autorité du pouvoir judiciaire. Toutes les autres institutions rendent compte à l’État.
Contentieux électoraux
Il n’existe pas de mécanisme systématique distinct pour la résolution des contentieux électoraux au Sénégal. Tous les contentieux sont gérés soit par la CENA et le CNRA sur le plan administratif, soit par les tribunaux sur le plan judiciaire. La Cour d’appel de Dakar joue un rôle important dans la résolution des contentieux résultant des élections législatives et locales, tandis que le Conseil constitutionnel est saisi des litiges liés aux élections présidentielles.
Cadre juridique des élections
Plusieurs lois réglementent l’organisation des élections. Les partis politiques sont libres en vertu de la loi n° 89-36 du 12 octobre 1989. Néanmoins, ils ne doivent pas être fondés sur une race, un groupe ethnique, un sexe, une religion, une langue ou une région.
Concernant la régulation des médias, la loi n° 96-04 du 22 février 1996 régit la liberté de la presse. Cela a donné lieu à la création de nombreuses sociétés de médias et agences de presse : cinq stations de radio commerciales nationales, plusieurs stations de radio commerciales locales, plus de 70 stations de radio communautaires et neuf chaînes de télévision d’envergure nationale. La presse écrite compte 20 quotidiens et plus de 12 hebdomadaires. Toutes les chaînes de télévision et stations de radio, publiques ou privées, sont soumises à l’examen du CNRA durant les élections.
Un nouveau Code électoral est entré en vigueur en janvier 2012. La dernière élection générale était régie par la loi électorale n° 2012-01 du 3 janvier 2012, qui a remplacé la loi électorale n° 92-16 du 7 février 1992.
Rapports avec la société civile, les partis politiques et les observateurs
Les partis politiques font partie intégrante du processus électoral et disposent de représentants dans tous les OGE, à l’exception du ministère de l’Intérieur. Ils jouent également un rôle majeur dans le processus de réforme électorale par le biais du Parlement.
La société civile participe elle aussi à la CENA et au CNRA, mais elle est moins engagée dans les consultations des OGE. Lors des élections de 2012, elle a participé aux activités d’éducation des électeurs, ainsi qu’aux initiatives de prévention des conflits, étant donné que ces élections se déroulaient dans un climat instable.
Les partis politiques et les OSC sont officiellement invités et consultés pour toutes les questions électorales par un comité directeur baptisé Comité de suivi et de veille.
Le Sénégal étant une démocratie relativement stable, le nombre d’observateurs internationaux qui y est déployé est généralement limité. Toutefois, en raison des tensions constatées dans les mois précédant l’élection présidentielle de 2012, le pays a enregistré à cette occasion un nombre record d’observateurs internationaux : 3 000. Quant aux observateurs citoyens, qui ont toujours surveillé les élections dans le pays, leur nombre s’élevait à cette occasion à plus de 6 000. L’accréditation des observateurs par le ministère de l’Intérieur est un processus rapide et facile.
Rapports avec d’autres institutions et organisations
Il est important de souligner que, malgré l’implication de plusieurs institutions dans l’organisation des élections, les relations et la collaboration entre elles sont globalement harmonieuses, de même que les relations entre les OGE et la police, en dépit des graves incidents survenus dans les semaines précédant l’élection.
Examen et évaluation des élections
Il n’existe malheureusement pas d’examen officiel et collectif des élections rassemblant les différents OGE. Chaque organisme rédige des rapports périodiques, présente ses accomplissements et ses faiblesses et émet des recommandations sur les points à améliorer. Certains de ces rapports ne sont pas communiqués au public, et les recommandations ne font pas l’objet d’un suivi. Par exemple, la CENA a proposé en 2009 des réformes à mettre en œuvre avant l’élection de 2012 qui n’ont jamais été adoptées. Ces recommandations suggéraient notamment de décentraliser la résolution des contentieux de la Cour d’appel vers les cours d’appel des régions et des provinces, d’étendre les pouvoirs de la CENA à la désignation du personnel des bureaux de vote, au recensement des votes et à l’envoi des procès-verbaux à la CNRV, ainsi que d’introduire le bulletin de vote unique. Le Sénégal utilise encore un système à bulletins de vote multiples qui est cher, néfaste pour l’environnement et susceptible d’être manipulé.
Le Comité de veille et de suivi, composé de l’ensemble des OGE, des partis politiques, de la société civile et d’observateurs, a été créé en 2010. Il a vu le jour à la suite de l’aggravation des problèmes de confiance des parties prenantes électorales concernant la fiabilité des listes électorales. Le comité se réunit lorsque le besoin se fait ressentir pour discuter de tous les problèmes électoraux, puis adresse ses recommandations au gouvernement et au Parlement. Il peut également proposer des réformes, des lois et des amendements.
Formation et professionnalisme du personnel des OGE
Le personnel des OGE ne bénéficie pas d’une remise à niveau régulière. Les actions de formation sont la plupart du temps organisées à l’approche des élections ou en période électorale. Cependant, des élections étant organisées presque tous les deux ans au Sénégal (au niveau local ou national), les OGE peuvent informer leurs employés des procédures électorales, des nouvelles réglementations et des nouvelles technologies.
Le professionnalisme du personnel des bureaux de vote est digne d’éloges. Il exerce ses fonctions de manière remarquable et bénéficie en général de la confiance des électeurs. La longue tradition électorale du pays contribue largement à la gestion professionnelle des affaires électorales.
Utilisation de nouvelles technologies
Depuis 2007, le ministère de l’Intérieur introduit de nouvelles technologies pour améliorer ses performances. Des technologies numériques et biométriques ont été utilisées pour créer les listes électorales nationales et produire les pièces d’identité et les cartes d’électeur. Tous les centres d’inscription sont équipés d’ordinateurs et du matériel nécessaire pour prendre des photos et des empreintes digitales. En 2011, les partis politiques ont acquis de nouvelles technologies pour surveiller les inscriptions frauduleuses, ce qui a permis de démasquer 55 856 électeurs fictifs.
En 2012, la CENA a mis en place un service informatique capable de recueillir toutes les informations concernant les votes dans les bureaux de vote.
Défis et opportunités
Les élections présidentielles et législatives de 2012 ont prouvé la maturité de la démocratie sénégalaise. Hormis quelques discussions sur les listes électorales qui ont fait consensus sur la scène politique, les opérations électorales se sont déroulées sans incident majeur. De manière générale, les Sénégalais ont confiance dans le processus électoral. Le pays doit toutefois réviser son système et décider si les OGE actuels peuvent encore fonctionner en toute indépendance et jouir de la même confiance.
L’utilisation de bulletins de vote uniques pourrait également être envisagée. Le rôle prépondérant du ministère de l’Intérieur peut devenir préoccupant si les fonctionnaires sont plus enclins à obéir à leur hiérarchie qu’à agir avec impartialité. Toutefois, pour le moment, les OGE bénéficient d’une certaine confiance et contribuent à la paix au Sénégal en exerçant leurs fonctions de manière professionnelle.