Carlos Navarro
En 1988, la proclamation des résultats officiels d’une élection présidentielle relativement controversée a engendré une crise de confiance généralisée envers le système électoral mexicain. Jusqu’alors, les élections avaient été contrôlées par des gouvernements successifs appartenant à un parti hégémonique qui était resté au pouvoir pendant près de 60 ans.
Une série de réformes constitutionnelles et législatives ont été mises en œuvre entre 1989 et 2007 afin de faire face à cette crise et de répondre à toutes les demandes et attentes en faveur d’un changement démocratique. Ces réformes ont nettement modifié les règles, institutions et procédures électorales afin de garantir un certain niveau de rigueur, d’impartialité et de transparence. Elles ont contribué à créer un système multipartite solide et à promouvoir d’importantes garanties et conditions d’équité en matière de concurrence électorale.
La création de l’Institut fédéral électoral (Instituto federal electoral, IFE) en 1990 a joué un rôle majeur dans ce processus de transformation. L’IFE a été conçu comme un organisme public, permanent, indépendant et spécialisé responsable de la conduite des élections fédérales dans le pays.
Le Mexique est un État fédéral composé de 32 entités autonomes (31 États plus la capitale, siège du pouvoir fédéral), qui composent son régime gouvernemental interne. Entre 1946 et 2014, ce dispositif fédéral s’est traduit, sur le plan électoral, par une division claire des compétences entre la fédération et ses 32 entités. Malgré une série de principes communs, chaque échelon gouvernemental avait ses propres règles, institutions et procédures électorales.
Ce dispositif juridico-institutionnel est resté en place pendant près de 70 ans, jusqu’à ce qu’une réforme constitutionnelle décidée fin 2013 et effective depuis le début de l’année 2014 entraîne des changements significatifs. Cette réforme a notamment remplacé l’IFE par l’Institut national électoral (Instituto nacional electoral, INE). Celui-ci reprend en grande partie les caractéristiques et la structure de l’IFE, mais dispose de pouvoirs élargis.
Bien que la création de l’INE n’entraîne pas la suppression des organismes responsables de la conduite des élections dans les 32 États fédérés, elle suppose à juste titre une évolution du modèle juridico-institutionnel. L’INE est non seulement chargé d’organiser les élections fédérales, mais il a également le pouvoir de collaborer et d’intervenir dans les élections locales (autorités exécutives et législatives au niveau des municipalités et des États), dans le respect des lois sur les partis politiques nationaux et des procédures électorales.
La présente étude de cas analyse l’origine, la nature et le champ d’action de l’IFE, et esquisse certaines conséquences et certains enjeux liés à son remplacement par l’INE. L’IFE a joué un rôle central dans le processus de réforme et de modernisation du régime électoral mexicain au cours des 30 dernières années. Le fait est qu’en mai 2014, ni les nouvelles lois électorales ni les procédures électorales communes à tous les États n’avaient encore été validées. Les caractéristiques et la portée du nouveau modèle d’organisation électorale seront examinées, en particulier en ce qui concerne les pouvoirs et l’organisation de l’INE.
Il faut également souligner que le modèle institutionnel mexicain attribue des compétences administratives (préparation, organisation et conduite des élections) et juridictionnelles (résolution des contentieux et exercice de la justice électorale) à différentes organisations spécialisées à chaque niveau administratif. La présente section s’intéresse uniquement à l’IFE/INE en tant qu’OGE.
Contexte
Comme la plupart des pays d’Amérique latine, le Mexique, ancienne colonie espagnole, a obtenu son indépendance au début du XIXe siècle. Bien qu’une grande partie de son premier centenaire d’indépendance se soit caractérisée par une grande instabilité politique due au fait que l’accès au pouvoir se disputait fréquemment sur les champs de bataille, des élections ont été organisées régulièrement (même s’il s’agissait d’une simple formalité).
Le pays a connu l’une des premières révolutions sociales du XXe siècle, initialement inspirée de slogans politiques tels que « Sufragio Efectivo, No re-elección » (Suffrage effectif, pas de réélection). Une fois le calme rétabli, un nouveau régime politique a été créé à la fin des années 1920. Ce régime se caractérisait par la concentration du pouvoir politique entre les mains du président de la République et s’articulait autour d’un système de parti hégémonique présentant d’importantes caractéristiques autoritaires.
Alors que les 40 années qui ont suivi la révolution mexicaine ont été marquées par de profondes transformations sociales et économiques, le régime politique est resté quasiment inchangé. Il existait un système multipartite formel et les élections étaient dûment respectées, mais l’opposition était très faible.
Ce n’est qu’au milieu des années 1970 que de fortes pressions et mobilisations sociales ont contribué à faire réellement évoluer le régime politique. Des moyens juridiques ont été mis en œuvre afin de permettre la participation politique et la représentation des différentes forces sociales (en particulier gauchistes) qui, jusqu’alors, avaient été systématiquement exclues de la scène politique.
À la fin de cette décennie, de nouvelles forces avaient fait irruption dans la vie politique et la concurrence politique était visiblement plus forte. Cependant, malgré une incitation à la pluralité politique, les règles et pratiques liées à la gestion électorale n’avaient pas été modifiées. La machine électorale ne s’activait qu’en période électorale, sous le contrôle du pouvoir exécutif, ce qui générait une grande défiance. Pour de nombreux Mexicains, l’organisation des élections et leurs résultats étaient synonymes de manipulation et de fraude.
Ces circonstances ont fait date lors des élections fédérales de 1988. La crise a éclaté lorsque la victoire du parti au pouvoir et de son candidat a été proclamée, malgré des questions et des doutes concernant l’équité du processus et la fiabilité des résultats. Il est devenu inconcevable pour l’ensemble des acteurs et des forces politiques d’organiser une autre élection sans une réforme complète et rigoureuse du cadre juridique et institutionnel régissant la concurrence électorale.
C’est dans ce contexte que d’importantes réformes constitutionnelles et législatives ont été mises en œuvre entre 1989 et 1996 afin de répondre progressivement aux demandes de transparence et d’impartialité accrues dans l’organisation des élections. Ces réformes ont également contribué à renforcer le régime multipartite et à garantir un contexte de concurrence électorale équitable.
Cette série de réformes et celles adoptées en 2007 et 2008 avaient deux particularités. Elles étaient en premier lieu inclusives, puisque toutes les forces politiques représentées au Congrès ont participé à l’ensemble du processus de négociation et d’accord, et que les réflexions et les propositions des parties prenantes et groupes spécialisés et intéressés ont été prises en compte. Ensuite, elles étaient exhaustives et avaient une portée globale, puisqu’elles visaient à répondre à une série de demandes concernant la composition du régime.
Il est important de rappeler que les négociations et les accords du premier cycle de réforme ont eu lieu entre 1989 et 1996, alors que le parti hégémonique était encore au pouvoir. Celui-ci contrôlait le pouvoir exécutif et disposait d’une majorité absolue dans les deux chambres du Congrès.
Création et pouvoirs de l’Institut fédéral électoral
Les réformes constitutionnelles et législatives de 1989 et 1990 ont grandement modifié les institutions et les procédures régissant les élections fédérales au Mexique. La création de l’IFE a été l’une des principales nouveautés de l’architecture électorale mexicaine. Cette organisation publique permanente, autonome quant à ses décisions et professionnelle en termes de performances, a été créée en 1990, en vertu de la Constitution et de la nouvelle loi électorale adoptée la même année. Ces caractéristiques ont représenté une évolution fondamentale de la nature de l’institution chargée d’organiser les élections fédérales.
La Constitution dispose que l’IFE doit respecter cinq principes fondamentaux dans l’exercice de ses pouvoirs : la fiabilité, la légalité, l’indépendance, l’impartialité et l’objectivité. Bien que les différentes réformes constitutionnelles et législatives menées au cours des 20 années qui ont suivi la création de l’IFE aient modifié certaines formules et certains mécanismes régissant sa composition, son organisation et son fonctionnement, chaque modification avait pour objectif de préserver ou de renforcer ces principes.
Le considérable élargissement des pouvoirs de l’IFE visait également à répondre aux demandes ayant fait suite à l’évolution du contexte et de la dynamique de la concurrence électorale. La communauté internationale s’attend désormais davantage à ce que les institutions et les règles électorales garantissent des élections libres, équitables et crédibles, et assurent un environnement concurrentiel équitable.
Les deux principaux éléments des réformes électorales menées au Mexique visaient ainsi à garantir l’organisation impartiale des élections et une concurrence équitable afin de renforcer la confiance et de consolider le régime électoral. La conception de la structure de l’IFE, ainsi que les pouvoirs de l’Institut et la manière dont il les a exercés pendant plus de 20 ans, illustrent parfaitement les réformes menées.
L’indépendance véritable des OGE comprend une dimension financière liée à leur capacité à planifier leur propre budget, mais également à recevoir et dépenser rapidement ces fonds. En ce sens, il convient de souligner l’indépendance budgétaire de l’IFE dès sa création (le Congrès étant le seul à pouvoir la modifier) et sur les financements publics très généreux et opportuns qui lui ont permis d’assumer efficacement ses responsabilités.
Le budget précédemment géré par l’IFE et repris par l’INE provient uniquement de fonds publics. Lors des élections de 2012, 473,3 millions USD ont été alloués aux frais de fonctionnement courants, 316,3 millions ont été octroyés à l’organisation du processus électoral et 392,0 millions ont couvert les frais courants et frais de campagne des partis politiques en tant que financements publics, pour un total de 1,2 milliard USD.
Afin de démontrer la bonne gestion de ses ressources, l’INE est tenu de respecter des règles de transparence et de responsabilité publique. Il est placé sous la supervision du bureau du contrôleur général, qui dispose de vastes pouvoirs d’exécution et dont le responsable est nommé de manière indépendante par le Congrès.
Afin de s’assurer que les responsabilités de l’IFE étaient assumées de manière professionnelle, la loi de 1990 prévoyait la création d’une administration électorale qui a finalement vu le jour en 1992. Tous les agents de l’IFE assumant des fonctions exécutives clés liées à la planification, à l’organisation, à la conduite et à la surveillance des élections devaient faire partie de cette administration électorale. L’INE ne devrait pas déroger à cette règle.
Un éventail croissant de fonctions et responsabilités
Depuis sa création, l’IFE était habilité à mener directement toutes les activités liées à la préparation, à l’organisation, à la conduite et à la surveillance de l’ensemble du processus électoral fédéral, ainsi que d’autres activités prévues par la loi (contribution à l’amélioration de la vie démocratique, préservation du régime des partis politiques, contribution à la diffusion de l’éducation civique, etc.).
En ce sens, les caractéristiques les plus importantes des réformes adoptées pendant la durée de vie de l’IFE ont peut-être été l’élargissement systématique et la diversification de ses pouvoirs. Outre ses pouvoirs essentiels en matière de logistique et d’organisation électorale (p. ex. enregistrement des candidats ; accréditation des observateurs citoyens et internationaux ; sélection et formation des responsables de bureaux de vote ; conception, impression et distribution de l’ensemble des supports électoraux ; annonce des résultats préliminaires et du décompte officiel des voix), l’IFE était également chargé de nombreuses autres tâches qui ont été reprises par l’INE et qui sont décrites ci-dessous.
Révision et ajustement réguliers du découpage électoral
La composition de la chambre basse du Congrès fédéral est une variante du système allemand de représentation proportionnelle (RP) mixte. En effet, 300 des 500 représentants sont élus sur la base d’un scrutin majoritaire uninominal à un tour (SUMT) dans un nombre égal de districts uninominaux répartis entre les 32 États fédérés, en fonction de la répartition de la population. L’IFE était chargé de réviser régulièrement ces 300 districts uninominaux afin de préserver le principe de représentation équitable. L’INE exerce également ce pouvoir pour les circonscriptions fédérales.
Intégration et mise à jour constante des listes électorales fédérales et délivrance des cartes d’électeurs
L’IFE était (et l’INE est aujourd’hui) chargé de l’intégration, de la mise à jour et de l’amélioration constantes des listes électorales utilisées pour l’ensemble des élections du pays. L’inscription électorale est volontaire. Chaque citoyen doit donc entreprendre cette démarche à titre personnel. Au moment de l’inscription, l’INE délivre une carte d’électeur avec photographie, qui est gratuite et valable pour une durée de dix ans. Dans la mesure où il n’existe pas de document national d’identification au Mexique, cette carte d’électeur avec photographie est dans les faits devenue la principale pièce d’identité des Mexicains. Au total, 79,5 millions de citoyens étaient habilités à voter lors des élections fédérales de 2012.
Contrôle et supervision des partis et du financement des campagnes
Au cours des 20 dernières années, le Mexique a mis en place l’un des systèmes de financement public permanent des partis politiques les plus généreux au monde. La Constitution dispose que les financements publics doivent l’emporter sur les financements privés. L’IFE était (et l’INE est aujourd’hui) chargé de gérer les subventions publiques allouées aux partis politiques nationaux (près de 400 millions USD en 2012).
Dans le même temps, les financements privés sont soumis à des réglementations et restrictions très précises en termes d’origine et de montant. Par conséquent, les partis politiques doivent rendre compte de l’origine, de la gestion et de l’utilisation exactes de l’ensemble des ressources dont ils bénéficient pour leur organisation, leur fonctionnement et leurs campagnes.
Gestion des temps de parole médiatiques alloués par l’État
Jusqu’en 2008, le Mexique disposait d’un système associant de généreux quotas de temps de parole gratuit (à la radio et à la télévision) aux fins de publicité électorale, subventionnés par l’État, et un ensemble de règles essentielles permettant d’acheter du temps d’antenne supplémentaire dans des conditions équitables. En 2008, une série de réformes constitutionnelles et législatives majeures a entraîné un changement fondamental : les partis politiques, les individus et les personnes morales n’avaient plus le droit d’acheter du temps d’antenne pour diffuser des publicités politiques ou électorales dans les médias.
Depuis lors, seuls les partis politiques et les candidats peuvent accéder ou recourir aux médias publics ou privés aux fins de publicité politico-électorale. Cet accès correspond uniquement au temps de parole (très généreux) alloué par l’État sur toutes les stations de radio (environ 1 600) et chaînes de télévision (environ 750) présentes dans le pays.
Tous les dispositifs et mécanismes de ce service offert aux partis et aux candidats, qui permet par ailleurs aux autorités électorales de diffuser des messages, relèvent désormais de la responsabilité de l’INE. Sa mise en œuvre a nécessité la création et la mise en place d’un mécanisme technico-administratif de grande ampleur et très sophistiqué, chargé de la répartition des 42 minutes de programmation quotidiennement mises à la disposition des partis politiques et des candidats en période de campagne ; de la validation technique et de la diffusion nationale des supports produits par les partis ; de la vérification des diffusions dans les espaces et les délais précédemment définis ; de la production des rapports d’information associés.
Organisation des débats électoraux
Une réforme de 2008 a conféré à l’IFE le pouvoir d’organiser deux débats entre les candidats inscrits aux élections présidentielles. La dernière réforme constitutionnelle en date appelle la nouvelle législation à établir des règles pour que les autorités électorales organisent des débats obligatoires entre les candidats à tous les postes électoraux. Les pouvoirs de l’INE en la matière pourraient donc s’étendre au moins aux élections législatives.
Une structure organisationnelle complexe
Afin d’exercer pleinement son rôle et ses pouvoirs, l’IFE a mis en place une structure organisationnelle vaste et complexe, que l’INE devrait maintenir voire développer au vu de ses pouvoirs élargis. Celle-ci se compose essentiellement de quatre types d’organismes :
- cles conseils : organismes directeurs et décisionnels collégiaux exerçant dans tous les domaines de compétence de l’Institution ;
- les comités exécutifs : organes composés de membres de l’administration électorale et chargés de mettre en œuvre les politiques, les programmes et les résolutions validées par les organismes directeurs ;
- les organismes techniques : organes spécialisés qui fournissent des conseils techniques à la demande d’autres secteurs de l’IFE ;
- les organismes de surveillance : commissions principalement et équitablement composées de représentants des partis politiques, ayant pour fonction de superviser les tâches liées à l’intégration, à la mise à jour et à la vérification des listes électorales.
Mis à part son siège dans la capitale, l’IFE fonctionnait (et l’INE fonctionne aujourd’hui) de manière décentralisée, avec 332 bureaux permanents dans tout le pays (comprenant des représentants des organismes directeurs, exécutifs et de surveillance).
Un organe directeur qui garantit l’indépendance et l’impartialité
Les principaux mécanismes permettant de garantir l’indépendance et l’impartialité d’une institution sont l’intégration de ses organismes directeurs et ses méthodes de prise de décision. Bien que chacun des organismes de l’INE offre une représentation équitable des partis politiques et que les groupes parlementaires soient représentés au sein du haut conseil, seuls les membres non affiliés à un parti ont le droit de vote.
Créé en avril 2014, le Conseil général est le principal organisme directeur de l’INE. Il comprend 11 membres dotés du droit de parole et de vote, et un nombre variable de membres habilités à participer aux débats, mais dépourvus du droit de vote. Les 11 membres votants sont le président et dix conseillers électoraux. En règle générale, tous doivent être élus à la majorité des deux tiers des membres de la chambre basse, dans le cadre d’une procédure complexe qui comprend différentes étapes clairement définies par la Constitution. Leur éligibilité dépend d’un certain nombre de critères qui garantissent avant tout leur indépendance et leur impartialité, mais également leur capacité à accomplir leurs devoirs. Tous les membres votants sont nommés pour une durée de neuf ans et remplacés de manière échelonnée.
Parmi les membres non-votants figurent un représentant de chaque parti politique enregistré au niveau national (actuellement sept), un pour chaque groupe parlementaire affilié à l’une ou l’autre des chambres du Congrès (actuellement également sept) et le secrétaire exécutif de l’INE. Le Conseil général est actuellement composé de 26 membres. Toutes ses sessions sont publiques et sont organisées dans des lieux permettant une couverture médiatique et une retransmission en direct sur le site Internet de l’Institut. Les débats sont encadrés, les décisions sont prises à la majorité et les membres votants expriment ouvertement leur opinion.
Utilisation intensive des nouvelles technologies
Bien que les principales procédures électorales, notamment le vote, la surveillance des élections et le décompte des voix dans les bureaux de vote (environ 143 000 lors des élections fédérales de juillet 2012) soient effectuées manuellement, l’IFE faisait (et l’INE fait aujourd’hui) une utilisation intensive de la technologie pour mener à bien la plupart de ses activités organisationnelles et électorales. La technologie permet par exemple d’établir un lien permanent entre ses bureaux dans tout le pays et de fournir des informations opportunes aux médias de masse et à tous les autres publics intéressés.
Outre l’impressionnante plateforme technologique utilisée pour la gestion intégrale des temps de parole alloués par l’État, des systèmes biométriques sont utilisés pour générer les listes électorales et produire les cartes d’électeurs avec photographie (qui comprennent également des dispositifs de sécurité visibles et invisibles les rendant presque impossibles à falsifier ou à modifier). Les nouvelles technologies ont également permis la création et l’utilisation d’un intranet dédié exclusivement à la diffusion en temps réel des résultats préliminaires des élections sur plus de 25 sites Internet publics.
Remarques finales
L’architecture électorale mexicaine, en particulier la nature, l’organisation et les pouvoirs de l’IFE (désormais repris par l’INE), illustre parfaitement jusqu’où les efforts (et la réglementation) peuvent aller pour garantir la transparence, la confiance et la crédibilité des élections et de leurs résultats dans un environnement qui peut être caractérisé par une défiance systématique, particulièrement manifeste chez les principaux candidats.
Un peu plus de 20 ans après sa création et après avoir mené huit élections fédérales (quatre élections générales et quatre élections de mi-mandat), l’IFE a pu totalement accréditer l’impartialité, la rigueur et le professionnalisme qui sous-tendaient l’ensemble de ses pouvoirs et responsabilités. En ce sens, l’existence de l’IFE a grandement contribué au renforcement et à la diffusion des règles, institutions, valeurs et pratiques démocratiques.
De ce point de vue, il est très surprenant que la réforme constitutionnelle validée par le Congrès à la fin de l’année 2013, dans le cadre d’un vaste consensus entre le gouvernement fédéral et les principaux partis politiques, ait non seulement remplacé l’IFE par l’INE, mais également considérablement modifié de manière non conventionnelle les bases sur lesquelles le modèle de répartition des compétences entre la fédération et les 32 États fédérés avait été bâti et mis en œuvre dans le domaine politico-électoral.
La plupart des analystes estiment que cette réforme s’est fourvoyée. L’idée originale sous-jacente, bien que contestable, était logique : attribuer à un seul organisme la responsabilité de conduire l’ensemble des élections et des consultations populaires dans le pays. Cela aurait permis d’éviter toute redondance administrative ou budgétaire et de garantir l’homogénéité et l’impartialité dans la gestion de l’ensemble des processus électoraux. De plus, contrairement aux précédentes réformes de 1989-1990, celle-ci ne résout pas de problème réel et ne comble aucune lacune clairement identifiée. Elle est plutôt le résultat de strictes négociations et tractations entre les principaux acteurs politiques.
La nouvelle réforme constitutionnelle a généré un modèle hybride de gestion électorale sans précédent dans les États fédéraux. La loi devra clarifier et préciser le champ de compétence de l’INE et les pouvoirs de collaboration avec les 32 autorités électorales locales. Autre facteur aggravant : l’autorité nationale aura non seulement le pouvoir de choisir les membres votants au sein des plus hauts organismes décisionnels des entités locales, mais elle pourra également assumer directement les fonctions liées à l’organisation des élections dans les États et gérer les questions juridiques associées pouvant nécessiter son intervention ou établir un précédent juridique.
Quoi qu’il en soit, l’IFE a systématiquement élargi l’étendue de ses pouvoirs tout au long de son existence. Avec la création de l’INE, et plus généralement l’adoption d’un nouveau modèle de gestion électorale au niveau fédéral, cette logique persiste et devrait s’intensifier et se renforcer.
Le modèle mexicain pourrait donc bien être un excellent exemple pour mener une analyse rigoureuse et approfondie des enjeux et des risques liés à l’élargissement et à la complexification des règlements électoraux (en particulier dans le domaine de la concurrence électorale, qui implique un rôle d’« arbitre » plus que d’encadrement) et, par conséquent, à l’élargissement de l’étendue des pouvoirs de l’autorité chargée de les mettre en œuvre ou de veiller à leur application.
Il est encore paradoxal qu’en tant qu’autorité nationale, l’IFE n’ait pas eu (et l’INE n’ait pas aujourd’hui) le pouvoir formel de participer au processus d’élaboration ou de révision des décisions juridiques en matière électorale, comme le font les autres OGE de la région, et ce, malgré le modèle de gestion et de concurrence électorales extrêmement réglementé et sophistiqué du système mexicain, qui dispose d’une vaste constellation d’organismes électoraux permanents, à la fois indépendants et hautement spécialisés.