Michael Maley
En 1999, dans un plébiscite rebaptisé « consultation populaire » pour des raisons diplomatiques, le peuple du Timor-Oriental a voté à une écrasante majorité en faveur du rétablissement de l’indépendance du pays après quelque 24 années d’occupation par l’Indonésie. Depuis, les Timorais se sont rendus aux urnes dix fois : en 2001 pour élire l’Assemblée constituante (qui a adopté une Constitution et est devenue le premier Parlement national du pays) ; en 2002 pour élire le président de la République ; en 2004-2005 et 2009 pour élire les instances représentatives locales ; et trois fois de suite en 2007 et en 2012 pour les premier et second tours de l’élection présidentielle et pour élire leur nouveau Parlement national.
La participation des Timorais à l’organisation et à la conduite de la consultation populaire a été très limitée. Le personnel international de la Mission des Nations Unies au Timor-Oriental, composé entre autres de volontaires des Nations Unies, occupait tous les postes à responsabilité. Le personnel local était uniquement employé en tant qu’assistants linguistiques et agents de scrutin sous une supervision étroite. Pendant la majeure partie de la période qui a séparé la consultation populaire du retour à l’indépendance en mai 2002, le Timor-Oriental est resté sous l’administration transitoire des Nations Unies. En mars 2001, l’administrateur transitoire a créé par règlement une Commission électorale indépendante (CEI) qui a finalement conduit les élections de 2001 et de 2002. Les Timorais ont joué un rôle beaucoup plus important dans cette institution, notamment en tant que membres du Conseil des commissaires. Lors de l’organisation de la deuxième élection, la commission s’était relativement consolidée. Toutefois, dans un mouvement que l’on peut juger, avec le recul, contestable, l’administrateur transitoire a mis un terme à la CEI vers la fin de son mandat, la remplaçant par une institution homonyme, mais plus restreinte, n’ayant qu’un rôle consultatif limité.
Les décisions ultérieures du gouvernement timorais concernant la future forme de l’administration électorale ont été forte-ment influencées par l’article 65, n° 6, de la Constitution nationale, en vertu duquel « la supervision de l’inscription des électeurs et des actes électoraux sera confiée à un organe indépendant dont les compétences, la composition, l’organisation et le fonctionnement seront définis par la loi ».
Cette notion de « supervision » supposait de manière implicite que le pays adopterait un modèle mixte de gestion électorale, doté de deux organismes électoraux : un pour organiser et conduire les élections et l’autre chargé de la supervision du processus. Le premier est le Secrétariat technique pour l’administration électorale (Secretariado Técnico de Administração Eleitoral, STAE). Créé par décret du gouvernement en juillet 2003, il dépend du ministère de l’Administration publique et remplace la CEI mise en place originellement par l’ONU, dont il a absorbé le personnel. Deux instances de supervision distinctes, toutes deux dénommées Commission nationale électorale (Comissão Nacional De Eleições, CNE), ont été créées. La première a été mise en place aux seules fins d’assurer les élections de représentants locaux de 2004-2005 et a été dissoute une fois sa mission remplie. La seconde CNE, permanente, a vu le jour début 2007.
Bien que le STAE et la CNE constituent les OGE essentiels, la Cour d’appel (en attendant la formation d’une Cour suprême de Justice) remplit différentes fonctions électorales, en particulier concernant l’enregistrement des partis politiques, la réception et la validation des nominations présidentielles et la certification finale des résultats électoraux.
Cadre législatif
Le principal document régissant les activités du STAE et de la CNE est la loi n° 5/2006 du 28 décembre 2006, intitulée Organismes d’administration électorale (et révisée par la loi n° 6/2011 du 22 juin 2011). Elle a officiellement institué les deux organismes et détaillé leurs pouvoirs et fonctions.
En vertu de la loi, la CNE est un organe indépendant du pouvoir politique central ou local auquel est accordée l’autonomie financière, administrative et organisationnelle. Le STAE est défini comme un « service de l’administration indirecte de l’État (Administração Indirecta do Estado), placé sous l’égide et la supervision du gouvernement, doté d’un budget propre et jouissant de son autonomie technique et administrative », mais la loi prévoit également expressément que « les décisions et les procédures adoptées par le STAE concernant les opérations liées à l’inscription des électeurs, aux élections et aux référendums doivent être supervisées par la CNE ».
Les fonctions et modalités de fonctionnement du STAE sont précisées dans le décret-loi n° 01/2007 du 18 janvier 2007, intitulé « Statut organique du Secrétariat technique de l’administration électorale », qui place notamment l’organisme sous l’autorité et la supervision du ministre de l’Administration publique et confie à ce dernier un large éventail de pouvoirs. Il est ainsi habilité, entre autres, à définir l’orientation stratégique et politique du STAE ; à approuver son budget, ses rapports de gestion, ses comptes, ses plans financiers, ses règlements internes et son recrutement ; et à nommer et licencier les membres des structures du STAE.
D’autres lois spécialement consacrées à l’élection du président de la République et du Parlement national complètent par ailleurs les obligations, pouvoirs et fonctions de la CNE et du STAE.
Composition et nomination
La CNE se compose de 15 commissaires :
- trois nommés par le président de la République ;
- trois élus par le Parlement national ;
- trois désignés par le gouvernement ;
- un juge judiciaire, un magistrat du ministère public et un défenseur public, élus par leurs pairs ;
- un commissaire nommé par l’Église catholique ;
- un commissaire nommé par les autres confessions religieuses ;
- une représentante des organisations de femmes.
Les commissaires sont nommés pour un mandat de six ans renouvelable une fois. Le directeur général du STAE est autorisé à participer aux réunions de la CNE, sans pouvoir voter.
Structures institutionnelles
La CNE est dotée d’un président choisi par les commissaires dans leurs rangs et compte plusieurs sous-commissions, dédiées aux partis politiques et aux candidatures, à l’inscription des électeurs et à la base de données des électeurs inscrits, à l’éducation civique, aux affaires juridiques et aux contentieux, ainsi qu’aux relations et liaisons publiques. Le travail de la commission est appuyé par un secrétariat installé à Dili. Dirigé par un directeur général, il comprend des domaines fonctionnels clés tels que la planification, l’administration, les finances, les technologies de l’information, les communications, la documentation et l’assistance juridique. La CNE dispose également de personnel sur le terrain dans les 13 districts du pays.
Le STAE, également dirigé par un directeur général, compte environ 120 employés, dont la majorité travaille dans les bureaux de district. Les principaux domaines opérationnels du STAE portent sur la formation, l’éducation électorale, les technologies de l’information, la gestion des bases de données d’électeurs, les finances et la logistique. Des effectifs supplémentaires sont recrutés en période électorale.
Pouvoirs et fonctions
La loi a confié à la CNE les fonctions suivantes :
- superviser le processus électoral ;
- veiller à l’application des dispositions constitutionnelles et législatives connexes ;
- approuver les règlements soumis à des dispositions légales, ainsi que les codes de conduite applicables aux candidats, observateurs, contrôleurs et professionnels des médias ;
- diffuser les informations sur le processus électoral dans les médias ;
- veiller à l’égalité de traitement des citoyens lors de leur inscription électorale et des opérations électorales ;
- veiller à l’égalité des chances et à la liberté de campagne électorale des candidats ;
- informer le ministère public des suspicions d’infractions électorales ;
- préparer et présenter à la cour d’appel des documents provisoires établissant les résultats des élections nationales, pour que les résultats définitifs des élections générales puissent être validés et proclamés ;
- • vérifier la base de données des électeurs inscrits établie par le STAE.
La loi a confié au STAE les fonctions suivantes :
- prendre les dispositions nécessaires pour mener à bien, en temps opportun, les processus électoraux, les référendums et les mises à jour des listes électorales ;
- proposer des mesures de clarification, d’éducation et d’information pertinentes pour renforcer la participation des citoyens aux processus électoraux et aux référendums et les inciter à s’inscrire sur les listes électorales ;
- planifier, réaliser et fournir un soutien technique pour les élections, les référendums et les mises à jour des listes électorales, à l’échelle nationale et locale, en coopération avec les structures administratives existantes ;
- compiler et publier des statistiques concernant les listes électorales, les processus électoraux et les référendums ;
- appuyer la CNE et collaborer avec elle ;
- organiser et mettre à jour les listes électorales, sous la supervision de la CNE, en proposant et en appliquant des procédures techniques et en organisant, mettant à jour et administrant la base de données centrale des électeurs inscrits.
Ni la CNE ni le STAE ne sont habilités à enregistrer les partis politiques (fonction dévolue à la cour d’appel), à fixer les dates de scrutin (compétence du président de la République) ou à délimiter les circonscriptions électorales (jusqu’à présent, les élections conduites au Timor-Oriental étaient toutes d’envergure nationale ou fondées sur les circonscriptions administratives existantes).
On constate un certain recoupement et des ambiguïtés dans les fonctions de la CNE et du STAE, ce qui complique leurs relations continues à divers égards. Le manque de clarté des dispositions législatives relatives à l’élaboration des règlements a entraîné un profond désaccord à la veille des élections de 2007, qui n’a pu être résolu que lorsque la CNE a adressé directement les règlements au Journal officiel en insistant pour qu’ils soient publiés. Il est arrivé à plusieurs reprises que le STAE et la CNE donnent l’impression de travailler en concurrence plutôt qu’en coopération. La plupart de ces difficultés ont cependant été résolues au fil du temps par l’adoption de mécanismes qui, à défaut d’être parfaits, se sont au moins révélés efficaces.
Finances et responsabilité
Le STAE et la CNE sont tous deux financés par l’État. En 2012, la CNE a reçu un budget de 5,85 millions USD, dont trois millions étaient destinés à financer les partis politiques représentés au Parlement national. Le STAE a reçu 8 millions USD pour couvrir les coûts des élections présidentielles et législatives. Aucun de ces budgets ne prenait en compte les dépenses de fonctionnement ordinaires des institutions.
Le STAE et la CNE ont également bénéficié de programmes financés par des donateurs et par les Nations Unies, auxquels ils auraient sinon dû renoncer ou financer eux-mêmes. De manière générale, les deux organismes disposent de budgets corrects, et le Timor-Oriental compte plus d’agents électoraux par habitant que beaucoup de pays comparables.
Bien qu’indépendante, la CNE doit rendre des comptes en présentant un rapport annuel au Parlement national. Pour sa part, le STAE est confronté à la difficulté de rendre compte, dans l’exercice de ses fonctions, à la fois à la CNE et à un ministre.
Professionnalisme des agents électoraux
Le personnel de base de la CNE et du STAE fait preuve, dans l’ensemble, d’une certaine expérience, de compétence et de neutralité politique. La plupart des cadres du STAE avaient été initialement engagés par les Nations Unies pour travailler à la CEI en 2001-2002. Ils avaient alors bénéficié d’un important programme de renforcement des capacités, mis en œuvre conjointement par la CEI et la Commission électorale australienne, basé sur la première version de ce qui allait devenir la fameuse formation BRIDGE. Tout au long de son histoire, le STAE a activement encouragé et favorisé le développement professionnel de son personnel, en entretenant notamment des contacts avec d’autres OGE, en Australie, au Portugal et en Indonésie pour ne citer qu’eux. De plus, le personnel du STAE participe fréquemment à des missions d’observation électorale, à des ateliers et à des réunions de réseaux à l’étranger.
La CNE, quoique plus récente, met également l’accent sur le développement de son personnel. Elle bénéficie d’une relative stabilité de ses membres depuis 2007, ainsi que du fait que plusieurs commissaires avaient siégé dans la première CNE, en 2004-2005. Elle fait aussi montre d’un bon niveau d’unité professionnelle, ce qui relève de l’exploit pour une organisation conçue pour réunir des gens d’horizons très divers.
Ces deux institutions ont retiré de grands avantages du soutien des Nations Unies, des donateurs bilatéraux et d’autres OGE de la région et de la communauté lusophone.
Rapports avec les médias et d’autres institutions
La CNE et le STAE ont su en général garder des rapports assez transparents avec les médias et plusieurs autres institutions. Hormis pour ce qui touche aux infractions électorales et à la promulgation par la CNE de codes de conduite applicables aux médias, ils ne sont pas expressément habilités à réguler les médias. Ils sont très actifs dans la publication de documents utiles, notamment sur leur site Internet. Ils semblent également avoir gagné la confiance du public ; leur neutralité et leur efficacité ont rarement été remises en question. D’après un sondage d’opinion national commandé par l’International Republican Institute réalisé en novembre et décembre 2008, 80 % des personnes interrogées estiment que le STAE fait du « bon » ou du « très bon » travail.
Perspectives d’avenir
Les perspectives d’avenir de l’administration électorale au Timor-Oriental sont prometteuses. Les gouvernements successifs se sont montrés disposés à investir dans le développement des OGE du pays, et la forte croissance du budget d’État liée aux revenus du pétrole et du gaz suggère que les ressources nécessaires seront disponibles dans un avenir proche. Le STAE et la CNE ont été avisés dans leur choix de technologies pratiques, et la base de données des électeurs inscrits du STAE, comme l’inscription des électeurs de manière générale, est perçue comme crédible et efficace. Les deux institutions ont également été aidées dans leur travail par le fait que l’élite politique et la population respectent et soutiennent, dans l’ensemble, des processus électoraux adaptés.
Comme dans la plupart des pays, l’évolution rapide de l’environnement électoral posera inévitablement des problèmes aux OGE timorais. Une tentative d’introduire un dispositif de vote à l’étranger pour les élections de 2012 a dû être abandonnée en raison de difficultés administratives, mais la demande de ce type de service ne devrait pas disparaître. Les compétences dont disposent désormais la CNE et le STAE devraient leur permettre d’analyser ces propositions et de conseiller intelligemment le Parlement national.
La principale difficulté qui les attend à l’avenir tient peut-être aux particularités du modèle mixte d’administration, qui entend concilier la nécessité de coopérer et l’institutionnalisation d’une relation intrinsèquement conflictuelle. Cela a posé problème en 2007. La situation semble s’être apaisée avec le temps, mais elle pourrait se dégrader à nouveau un jour ou l’autre.