Vasil Vashchanka
Contexte
L’OGE national mis en place peu de temps après l’indépendance de l’Ukraine a pris de l’importance avec l’organisation des premières élections législatives et présidentielles multipartites au début des années 1990. La Commission électorale centrale (CEC) créée en 1997 a progressivement renforcé ses capacités à gérer les processus électoraux nationaux. Lors des élections de 1998, 1999 et 2002, les observateurs internationaux ont jugé ses performances globalement positives. En revanche, ils se sont dits préoccupés par la question de son indépendance politique et ses pouvoirs limités. Lors de l’élection présidentielle de 2004, des allégations crédibles de fraude électorale ont déclenché ce que l’on a appelé la Révolution orange et entraîné l’annulation des résultats par la Cour suprême, qui a demandé l’organisation d’un nouveau second tour. Le Parlement a révoqué les membres de la CEC, qui avait participé à la manipulation des résultats, et en a nommé de nouveaux pour administrer le second scrutin. Depuis, la nouvelle CEC a administré plusieurs élections.
Cadre législatif
La Constitution de 1997 confère au Parlement (Verhovna Rada) le pouvoir de nommer les membres de la CEC mais ne précise ni le statut ni les fonctions de cette dernière. Ceux-ci sont détaillés dans la loi de 2004 sur la Commission électorale centrale, qui porte création de la CEC en tant qu’« organisme d’État collégial permanent ». Cette même loi énonce les grands principes de son fonctionnement : État de droit, légalité, indépendance, objectivité, compétence, professionnalisme, prise de décision collégiale et raisonnée, transparence et diffusion des informations. Elle régit également les modalités de sa formation et ses activités ainsi que ses pouvoirs et le statut de ses membres. La CEC a adopté des règles de procédure précisant son organisation et ses procédures de travail internes. La législation électorale ukrainienne n’étant pas codifiée, les pouvoirs spécifiques de la CEC lors des élections nationales et locales et des référendums sont précisés dans les lois relatives à ces scrutins. Les résolutions de la CEC relatives aux questions relevant de sa compétence sont juridiquement contraignantes pour tous les participants aux processus électoraux.
Structure institutionnelle
Les membres de la CEC élisent en leur sein un président, deux présidents adjoints et un secrétaire à la majorité des voix. Le président dirige la commission et le secrétariat. Le secrétaire est quant à lui chargé de la préparation des réunions de la Commission, de la gestion des archives et de la communication aux médias.
Le secrétariat et ses quelque 250 salariés permanents appuient le travail de la Commission. Il est divisé en départements et en unités chargés de différentes activités de soutien, dont le Département organisationnel, le Département juridique, le Département informatique, le Département des achats, le Département en charge de la documentation, etc. La liste électorale de l’État administrée par la CEC est gérée par un service d’appui distinct. La CEC siège dans la capitale (Kiev) et ne possède pas de structures régionales bien que la loi l’autorise à créer des bureaux de représentants régionaux dans le cadre de son enveloppe budgétaire, si elle le juge opportun.
La CEC est l’unique instance d’administration électorale permanente. Des commissions électorales de district et d’arrondissement sont créées pour chaque élection. Leurs membres sont choisis sur proposition des candidats des partis politiques.
Pouvoirs et responsabilités
La loi contraint la Commission à protéger et garantir le respect des droits électoraux des citoyens et du cadre juridique des élections et des référendums. Ce mandat inclut le respect des réglementations relatives au financement des campagnes par les partis politiques et les candidats. La CEC est responsable de la création des circonscriptions et de la gestion de la liste électorale de l’État. Elle est également chargée de diffuser des informations sur les processus électoraux et a le pouvoir d’examiner les requêtes et les demandes en rapport avec toutes les questions relevant de sa compétence.
Lors des élections présidentielles et parlementaires nationales, elle doit organiser et gérer l’intégralité du processus, notamment la création et le contrôle des commissions électorales des niveaux inférieurs, l’enregistrement des candidats, le suivi du financement des campagnes et la proclamation des résultats. Il en va de même pour les référendums nationaux. En revanche, elle se contente d’approuver le format des bulletins de vote et de dispenser des conseils dans le cadre des référendums locaux. Lors des élections locales, elle remplit principalement des fonctions de supervision.
Composition et nomination des membres
La Commission compte quinze membres désignés par le président et nommés pour sept ans par le Parlement. Avant de désigner des membres, le président est légalement tenu de prendre en compte les propositions des factions et des groupes parlementaires.
Les membres doivent être âgés d’au moins 25 ans, parler la langue officielle et résider en Ukraine depuis au moins cinq ans avant leur nomination. Le président, ses adjoints et au moins cinq autres membres doivent détenir un diplôme d’études supérieures en droit. Les membres de la Commission n’ont pas le droit de participer à des activités politiques ou commerciales et doivent rendre la carte du parti auquel ils appartiennent, le cas échéant. Ils prêtent serment devant le Parlement de respecter la loi, d’être indépendants des partis et d’exécuter leurs tâches avec équité, objectivité et impartialité. Les membres et le personnel de la CEC sont des fonctionnaires.
Financement et responsabilité
La CEC, son secrétariat et les services d’appui sont financés directement par le budget de l’État. La Commission soumet un rapport annuel de dépenses à la Chambre d’audit de l’État.
Justice électorale
La loi autorise la Commission à recevoir deux types de requêtes : (1) demandes d’assistance en matière d’exercice des droits électoraux, de clarification de la législation électorale ou de recommandations d’amélioration de la loi et (2) recours relatifs à des allégations de violation de la législation électorale et des droits des participants aux élections. Les commissions et les tribunaux électoraux ont compétence pour connaître des demandes relatives aux décisions ou actes des commissions des niveaux inférieurs et des candidats. Les observateurs internationaux ont critiqué ce chevauchement juridictionnel parce qu’il peut entraîner le rejet indu de recours ainsi que des décisions incohérentes. La CEC fait suivre aux forces de l’ordre les allégations d’infractions électorales aux fins d’enquête.
Professionnalisme
En général, la CEC est considérée compétente. 64 % des personnes ayant répondu à une enquête menée en amont des élections parlementaires de 2012 se sont dit d’accord avec l’affirmation selon laquelle les élections en Ukraine étaient administrées de manière compétente. Pourtant, les experts internationaux ont indiqué que la CEC se heurtait à un certain nombre de problèmes, notamment concernant la création des commissions des niveaux inférieurs et le découpage électoral des districts uninominaux. Selon eux, la pratique de la CEC visant à confier à certains de ses membres la responsabilité opérationnelle de questions et de régions spécifiques risquait d’entraîner des manquements opérationnels.
Des observateurs de l’OSCE/BIDDH (Bureau de l’OSCE des institutions démocratiques et des droits de l’homme) ont jugé adéquates les performances de la CEC lors des élections parlementaires de 2012 mais lui ont reproché de ne pas prendre suffisamment de mesures pour réglementer certains aspects importants des élections, notamment la transparence du processus de comptabilisation des votes, l’application des règles relatives aux campagnes, l’adoption de règles dissuasives punissant l’achat indirect de votes, la résolution des violations liées aux médias et la garantie du droit des demandeurs à un recours effectif. Lors de l’élection présidentielle de 2014, ces mêmes observateurs ont rapporté que la CEC avait fonctionné de manière indépendante, impartiale, collégiale et globalement efficiente en dépit d’un contexte difficile et d’un délai extrêmement court pour préparer le scrutin.
Rapports avec les médias
La CEC s’efforce de faire preuve d’ouverture et d’entretenir un contact permanent avec les médias. Elle possède un site Internet relativement bien développé(http://www. cvk.gov.ua) mais n’est pas présente sur les médias sociaux. Le président actuel est régulièrement interviewé depuis sa nomination en juillet 2013 et a participé à des séances de questions/réponses en ligne. Après les élections parlementaires de 2012, des observateurs ont reproché à la CEC son manque de transparence et la prise de décisions à huis clos avant les séances officielles. Ces critiques n’ont pas été réitérées lors de l’élection présidentielle anticipée de 2014. La tenue de séances ouvertes et la publication de ses décisions ainsi que de milliers de décisions prises par les commissions de districts d’échelon inférieur sur son site Internet lui ont valu des félicitations.
Les lois électorales garantissent l’équilibre de la couverture médiatique pendant les campagnes électorales et chargent la CEC d’allouer le temps d’intervention obligatoire attribué aux candidats dans les médias publics. Des observateurs internationaux des élections parlementaires de 2012 ont souligné que la CEC s’était déclarée incompétente concernant les recours et les contentieux en rapport avec les médias et avait renvoyé les demandeurs vers les juridictions.
Rapports avec les parties prenantes
La Commission entretient des relations constructives avec les parties prenantes aux processus électoraux. La perception que ses activités sont soumises à des influences partisanes perdure néanmoins et elle ne parvient pas à convaincre l’opinion publique du contraire. La procédure de sélection et de nomination, qui laisse une large place à des nominations à visée politique fondées sur des loyautés partisanes, joue pour beaucoup dans ce sentiment. Le président actuel de la CEC a critiqué à maintes reprises la concurrence que se livrent les factions politiques pour obtenir la nomination de leurs candidats. Il a appelé à ce que les nominations reposent sur l’expérience professionnelle en matière d’administration électorale et d’activités de la société civile et non plus sur l’appartenance politique. Lors de l’élection présidentielle anticipée de 2014, les interférences partisanes ont cédé le pas à des préoccupations politiques et sécuritaires plus pressantes. La CEC a ainsi pu bénéficier d’une plus grande marge de manœuvre pour renforcer sa position d’autorité impartiale et politiquement indépendante.
Pérennité
La Commission semble correctement financée et n’a pas exprimé d’inquiétude quant à la pérennité de ses activités. Le Parlement a également dégagé un financement suffisant pour les élections récentes, y compris celles reconduites dans cinq districts majoritaires après que la CEC se soit déclarée dans l’impossibilité de calculer les résultats aux élections parlementaires d’octobre 2012. Selon certaines sources, la Commission tire les enseignements des consultations électorales majeures après leur déroulement, mais ne publie pas les conclusions de ces exercices sur son site. Lors de l’élection présidentielle anticipée de 2014, la pérennité de l’administration électorale a été ébranlée par les menaces planant sur l’intégrité territoriale du pays et la dégradation de la sécurité dans plusieurs régions.
Utilisation des nouvelles technologies
La loi autorise la CEC à utiliser un « système d’information automatisé » mais prévoit que les données qu’il fournit sont provisoires et sans conséquences juridiques. De manière générale, l’utilisation du système Vybory pour la comptabilisation des suffrages a contribué à renforcer la transparence du processus électoral. Dans le même temps, des observateurs internationaux ont exprimé des réserves à propos du processus de comptabilisation. Lors de l’élection présidentielle de 2010, les observateurs de l’OSCE/BIDDH ont livré une appréciation positive globale de ce processus. Ils ont néanmoins souligné ne pas avoir été autorisés à observer la saisie des données dans le système Vybory. Lors des élections parlementaires de 2012, ils ont jugé le processus de comptabilisation défaillant dans près de la moitié des commissions électorales de district (CED) observées. Outre l’absence de transparence en matière de saisie des données et le nombre excessif de personnes présentes, ils ont rapporté des irrégularités, notamment des écarts entre les protocoles de résultats des bureaux de vote et les données entrées dans le système. La CEC a fini par ordonner la tenue de nouvelles élections dans cinq districts, mais des allégations d’irrégularités graves ont été rapportées dans d’autres circonscriptions. Les observateurs ont recommandé d’améliorer la transparence et d’augmenter les capacités de traitement des résultats au niveau des CED. Lors de l’élection présidentielle anticipée de 2014, le système Vybory a subi des cyberattaques qui l’ont rendu inopérant. Cette situation a perturbé la réception et le traitement du matériel électoral et retardé l’annonce des résultats préliminaires. Des observateurs nationaux ont vivement conseillé à la CEC de renforcer la sécurité de son système.
L’inscription des électeurs constitue le deuxième domaine majeur d’utilisation de la technologie par la CEC. En 2009, la Commission a lancé un système d’inscription des électeurs unifié, centralisé et informatisé afin de répondre à une nécessité de longue date : améliorer la liste électorale. Ce système a été utilisé avec succès pour la première fois lors de l’élection présidentielle de 2010. Les observateurs ont loué ses qualités lors des élections parlementaires de 2012. Le président du CEC affirme qu’il s’agit de l’un des systèmes d’inscription des électeurs les plus exacts au monde. Les informations personnelles qui y figurent sont mises à jour tous les mois par plus de 750 instances locales de gestion des listes.
Gestion de la réforme électorale
La loi autorise la Commission à proposer des améliorations de la législation électorale et la CEC a fait usage de ce mandat. Elle a souligné la nécessité d’une stabilité et d’un consensus social concernant les règles électorales et demandé instamment aux partis politiques d’éviter les changements inutiles. Cette prise de position ne l’a pas empêchée de collaborer avec le Parlement pour conduire l’élection présidentielle anticipée de 2014, qui nécessitait d’amender le cadre juridique afin de faire face aux défis politiques et sécuritaires auxquels le processus électoral se trouvait confronté.
Égalité des sexes
En 2014, cinq membres de la CEC, y compris l’un des deux présidents adjoints et la secrétaire, étaient de sexe féminin. Certains observateurs internationaux ont noté que les femmes étaient surreprésentées au bas de la pyramide, c’est-à-dire dans les commissions électorales d’arrondissement, et attribué cette situation à la faible rémunération de cette activité. La CEC n’a pas publié de politique en matière de genre. La représentation des femmes au Parlement demeure faible (10 %) et certains analystes pensent que la CEC pourrait intervenir davantage auprès des partis politiques pour les inciter à désigner des candidates.
Défis et opportunités
La CEC et l’administration électorale ukrainienne sont confrontées à des défis de deux types. Les premiers sont liés aux événements à l’origine de l’élection présidentielle anticipée de 2014. Au moment de la rédaction du présent document, les problèmes de sécurité et les menaces qui pèsent sur l’intégrité territoriale du pays soulèvent des difficultés immédiates et lourdes de conséquences pour l’avenir de la démocratie ukrainienne. Il n’a pas été possible de conduire l’élection présidentielle anticipée de 2014 en Crimée en raison de son annexion par la Russie, ni dans plusieurs circonscriptions de l’est du pays en raison de l’intervention de guérillas armées.
Les seconds s’inscrivent dans une perspective à long terme et concernent la politisation de l’administration électorale à tous les niveaux. On pourrait considérer, non sans raison, qu’il s’agit là d’un produit dérivé inévitable d’élections qui comptent parmi les plus âprement disputées de tous les pays de l’ex-Union soviétique. Cependant, la propension inquiétante des candidats, notamment de ceux déjà élus, à recourir à des activités frauduleuses ou d’une légalité douteuse pour obtenir un avantage électoral n’a pas créé un climat favorable à la disparition des attitudes partisanes dans l’administration électorale.
En général, les élections dans l’Ukraine indépendante se sont caractérisées par de faibles niveaux de confiance. Une étude menée avant les élections de 2012 a révélé que plus de la moitié des électeurs escomptaient une falsification des résultats. Seuls 34 % environ des personnes interrogées ont exprimé leur confiance dans la CEC. Celle-ci a néanmoins réalisé un meilleur score que le Parlement (23 %), le chef de l’État (32 %) et le conseil des ministres (28 %). Comme mentionné plus haut, le président de la CEC a dénoncé les nominations partisanes à la commission suivante et déclaré qu’il conviendrait de choisir les candidats parmi des administrateurs électoraux et des acteurs de la société civile expérimentés.
Bien que la CEC soit de plus en plus considérée comme une autorité professionnelle et impartiale, la professionnalisation des commissions des niveaux inférieurs demeure difficile. Les partis politiques se livrent traditionnellement une lutte féroce pour y être représentés et n’hésitent pas à recourir à des méthodes douteuses sur le plan éthique et légal. Selon les termes d’experts de l’IFES : « Toute discussion sur la formation des commissions électorales devrait reconnaître la forte politisation de ces instances. Tous les participants au processus électoral semblent convaincus que leur meilleure défense contre les risques de fraude de la part de leurs concurrents consiste à détenir un représentant dans les commissions. » De ce fait, les commissions électorales tendent à comporter un nombre pléthorique de membres et sont souvent agitées par des conflits partisans. Systématiquement, les candidats manipulent leurs représentants et les retirent des commissions électorales, ce qui compromet l’efficience de l’administration des élections. Parmi les propositions d’améliorations, on peut citer la formation obligatoire des membres des commissions avant leur nomination ainsi que davantage d’incitations (notamment de nature financière) à faire preuve d’autonomie vis-à-vis des acteurs politiques qui les nomment. Cependant, tant que la méfiance règnera dans la vie politique et sociale, les partis continueront très probablement à influer sur la formation des commissions électorales.
Bibliographie
FONDATION INTERNATIONALE POUR LES SYSTÈMES ÉLECTORAUX [IFES], Pre-Election Technical Assessment: 2012 Parliamentary Elections in Ukraine [Évaluation technique préélectorale : élections parlementaires de 2012 en Ukraine], (Washington, D.C.: IFES, 2012)
FONDATION INTERNATIONALE POUR LES SYSTÈMES ÉLECTORAUX [IFES], Pre-Election Public Opinion in Ukraine: Survey Results [Résultats du sondage préélectoral auprès du grand public en Ukraine] (Washington, D.C.: IFES, 2013)
Mission Canada, Élection ukrainienne de 2012, 2012
Rapports d’observation du OSCE/BIDDH sur les élections de 1998, 1999, 2002, 2004, 2006, 2007, 2010 et 2012, disponible sur : http://www.osce.org/odihr/elections/ukraine http://www.osce.org/odihr/elections/ ukraine
OSCE/BIDDH, "Statement of Preliminary Findings and Conclusions" [« Résultats et conclusions préliminaires »], 26 mai 2014, disponible sur : http://www.osce.org/odihr/elections/ukraine/119078?download=true