Gabrielle Bardall
Le processus électoral haïtien traverse une profonde crise de confiance et de crédibilité publique. Bien que les Haïtiens considèrent les élections comme un instrument de changement politique et social important, ni le processus électoral ni les responsables politiques ne semblent favoriser la participation électorale. [1]
Le 12 janvier 2010, soit un mois avant les élections législatives, présidentielles et municipales prévues, un séisme dévastateur de magnitude 7,0 a frappé Haïti, faisant environ 220 000 morts et 1,5 million de sans-abris. La catastrophe s’est ajoutée à la crise politique et a détruit ou gravement endommagé une partie de l’infrastructure électorale, notamment le bureau et l’annexe du siège de l’OGE et un certain nombre de bureaux décentralisés dans les départements de l’Ouest et du Sud-Est. Les membres de l’OGE, ainsi que ses partenaires locaux et internationaux, n’ont pas été épargnés. Le premier tour des élections présidentielles et législatives s’est finalement tenu le 28 novembre 2010 dans un contexte de confusion, de fraude présumée, de violence et d’intimidation. Le second tour a été repoussé au 20 mars 2011 suite à de nombreux actes de violence, reflétant plus de 20 années d’élections en Haïti. Malgré des progrès significatifs par rapport au premier tour et des réformes législatives récentes encourageantes, l’OGE haïtien manque toujours de crédibilité aux yeux du public. La crise de gestion électorale persiste donc.
Institutions électorales et cadre juridique
Le système d’administration électorale haïtien a été mis en place par la Constitution de 1987, qui exigeait que les élections de transition soient gérées par un conseil provisoire, le Conseil électoral provisoire d’Haïti (CEP) en attendant la création d’un conseil permanent, le Conseil électoral permanent.
Après plus de 25 ans, l’OGE haïtien reste transitoire. Une nouvelle loi électorale visant à créer une commission permanente a été proposée en décembre 2013. Elle a été profondément révisée avant d’être adoptée par la chambre basse du Parlement en mars 2014. En juillet 2014, les négociations sénatoriales se trouvaient dans une impasse. Le défi constant que constitue l’administration électorale en Haïti est intimement lié à la crise institutionnelle de ces 25 dernières années, que traduit le nom paradoxal de l’OGE : le Collège transitoire du conseil électoral permanent (CTCEP).
L’organisme électoral est encadré par trois documents législatifs : la Constitution, la loi électorale de juillet 2008 et les règlements généraux du CEP, promulgués par décret présidentiel. Selon la Constitution révisée, chacun des trois pouvoirs de l’État nomme trois membres de l’OGE. Outre son bureau central, le CTCEP dispose de 11 bureaux électoraux départementaux (BED) et 142 bureaux électoraux communaux (BEC). En 2011, le bureau national du CTCEP employait 410 personnes. Actifs uniquement en période électorale, les BED et les BEC employaient respectivement 99 et 994 personnes.[2]
D’après la loi électorale de 2008, le CEP est une institution publique indépendante et impartiale chargée de l’organisation et de la supervision des élections sur tout le territoire haïtien. Jusqu’à présent, le CTCEP a été chargé d’élaborer la législation électorale et de soumettre une proposition de réforme électorale législative au président, en consultation avec les partis politiques et la société civile. Il a également été chargé de mettre en œuvre les réformes électorales adoptées, notamment l’instauration récente d’un quota de 30 % de femmes (en vertu de l’article 17.1 de la Constitution). Ses autres pouvoirs et fonctions consistent à demander au président de la République de convoquer des élections, à déterminer les dates de début et de fin de la campagne électorale et à publier les résultats. Même si le fait d’autoriser les partis politiques à fonctionner est la prérogative du ministère de la Justice, le CTCEP les enregistre durant chaque période électorale. Il est également chargé de résoudre les contentieux électoraux et de prendre la décision d’annuler les votes dans les circonstances prévues par la loi [3]. Ces fonctions devraient être reprises par le CEP dans le cadre de la nouvelle législation.
À ce jour, deux éléments du cadre juridique électoral entravent sérieusement l’administration électorale. Le premier défi est le manque de clarté de la hiérarchie institutionnelle, en particulier le manque de rapports hiérarchiques et de différenciation entre les rôles respectifs du directeur général et des membres du CEP en matière de gestion électorale. Il s’avère que cette situation a affecté la prise de décision durant la période électorale [4]. Si la création du poste de directeur général lors des élections de 2006 constitue une avancée, dans les faits le directeur général ne délègue pas suffisamment de pouvoirs et les membres du secrétariat sont restés directement impliqués dans les opérations quotidiennes de gestion électorale ces dernières années [5]. Au lieu de jouer le rôle de conseil consultatif, les neuf membres participent aux activités de routine telles que le recrutement des inspecteurs électoraux. Ceci a contribué au manque de confiance du public envers l’institution et a tellement ralenti les activités administratives que dans certains bureaux de vote lors des dernières élections, la liste des agents électoraux a été reçue si tardivement que les agents ont dû être formés la nuit précédente ou le matin même du scrutin.
La gestion des contentieux électoraux est au cœur du second grand défi législatif. La Constitution (article 197) et la loi électorale confèrent au CEP une autorité exclusive pour toutes les questions liées à la résolution des contentieux électoraux. Ce processus est géré au sein de la structure du CEP par le Bureau du contentieux électoral national (BCEN), ainsi que les bureaux départementaux et communaux. Aux niveaux départemental et communal, les organismes de résolution des contentieux comprennent respectivement deux membres du BED ou du BEC et un avocat nommé par le CEP. Basé au sein de ce dernier, le BCEN comprend trois sections, chacune composée de trois membres du CEP et de deux avocats nommés par celui-ci (loi électorale, section D, articles 14 à 18). Selon la Constitution, le BCEN statue en dernier recours pour tous les contentieux survenant au cours des élections ou en matière d’application ou de violation de la loi électorale. Ce système compromet la neutralité de la justice électorale et génère un conflit d’intérêts fondamental pour le CEP, qui est à la fois juge et partie [6].
Le projet de loi électorale de 2014 répond dans une certaine mesure à ces deux problèmes. En vertu de la loi proposée, le directeur général serait remplacé par un directeur exécutif, qui serait nommé par le CEP pour mettre en œuvre ses décisions et coordonner les activités des autres services, ce qui permettrait ainsi de clarifier (si ce n’est de résoudre) le problème de hiérarchie. Le projet de loi instaurerait des magistrats et des avocats délégués par la Fédération Nationale des Barreaux de la République dans chaque section du BCEN. Le CEP continuerait à jouer un rôle fondamental dans la résolution des contentieux électoraux, mais la mise en place de ces membres permettrait de dissiper le conflit d’intérêts inhérent au système actuel.
Les conséquences du non-respect du calendrier électoral
Les élections haïtiennes sont constamment repoussées. Aucune élection locale ou nationale n’a été organisée conformément au calendrier prévu depuis que la Constitution a été ratifiée.
Par le passé, ces retards ont engendré plusieurs crises constitutionnelles. Les sièges au Sénat sont renouvelés par tiers tous les deux ans. Le report des élections a entraîné le dépassement de la durée de mandat des sénateurs et a placé le Sénat dans une situation anticonstitutionnelle à plusieurs reprises ces dernières années, conduisant le président à gouverner par décret. L’article 232 de la loi électorale de 2008 a été révisé en 2009 pour résoudre le problème de la durée des mandats de l’exécutif, des conseils parlementaires et locaux, ainsi que des assemblées élues en 2006-2007. Les retards constants du processus ont cependant plongé le pays dans une nouvelle crise constitutionnelle en 2012 et 2013. Le report systématique des rendez-vous électoraux a largement contribué à la perception publique négative du processus électoral.
Le non-respect des dispositions constitutionnelles relatives aux élections a transformé le problème constant de la gestion électorale en une spirale descendante qui s’autoalimente. Le CTCEP a été créé conformément à la Constitution modifiée. Cependant, l’exécutif ne peut pas établir une commission permanente, car le Parlement n’est pas en mesure de choisir ses trois membres, comme le prévoit la Constitution, du fait que les élections n’ont pas lieu dans les délais impartis et que le mandat d’un tiers des sénateurs est arrivé à échéance. En l’absence d’un Sénat siégeant au complet, il est impossible de créer le Conseil électoral permanent, et le Conseil électoral provisoire est maintenu.
Opérations électorales
Le conflit fondamental concernant la création d’un organisme permanent se répercute sur tous les aspects des opérations électorales, notamment l’inscription des électeurs, la logistique électorale et la gestion financière.
L’inscription des électeurs constitue un défi opérationnel majeur pour le CTCEP, [7] qui est chargé de tenir un registre vérifié des électeurs et de publier une liste électorale sur la base des données d’état civil transmises par l’Office national d’identification (ONI). Celui-ci tient un registre d’état civil permanent et fournit une carte d’identification nationale aux nouveaux inscrits et aux électeurs déjà inscrits qui l’ont perdue. Les électeurs doivent présenter leur carte d’identification le jour du scrutin pour pouvoir voter. Depuis 2005, l’OEA fournit une assistance substantielle afin de moderniser le registre d’état civil, notamment en soutenant l’inscription de plus de cinq millions d’Haïtiens, en mettant à jour la technologie des cartes de manière à inclure des dispositifs de sécurité tels que des caractéristiques biométriques ou un numéro d’identification unique, et en s’efforçant de professionnaliser l’ONI (une institution permanente) grâce à la formation du personnel et à la fourniture d’équipements et d’outils bureautiques dans ses 141 bureaux à travers le pays [8]. Pourtant, de considérables difficultés juridiques, procédurales et économiques continuent à empêcher de nombreux Haïtiens d’obtenir des documents d’identité civile auprès de l’ONI [9]. Sur le plan juridique, les différences entre la loi électorale et la Constitution concernant la liste électorale limitent sérieusement les possibilités de recours. [10] On observe deux problèmes pratiques majeurs persistants liés au registre d’état civil, et donc aux listes électorales. Premièrement, dans la mesure où il n’y a jamais eu de lien entre l’ONI/le registre d’état civil et l’émission des certificats de décès, les défunts n’ont jamais été retirés de la liste [11]. À ce problème s’ajoute le fait que les certificats de décès existants ne sont pas adaptés aux besoins électoraux, car ils ne contiennent aucune information permettant de trouver le nom d’un électeur sur la liste, de confirmer son identité et de supprimer l’entrée correspondante. Deuxièmement, le remplacement des documents et la réaffectation des lieux de vote pour les populations déplacées suite au séisme restent des difficultés considérables [12].
La logistique électorale est un autre grand défi. Après des années de coups d’État et d’intervention dans la vie politique, qui se sont soldées par la mort d’environ 3 000 à 5 000 personnes et l’exil de dizaines de milliers d’habitants, le président Aristide a décidé de dissoudre l’armée haïtienne en 1995. Depuis lors, l’application de la loi civile par la police nationale et les garde-côtes s’est fortement appuyée sur l’ONU, qui est présente en Haïti depuis 1990 aux fins de logistique et de sécurité électorale. [13]
La Mission des Nations Unies pour la stabilisation en Haïti (MINUSTAH) et le PNUD ont joué un rôle de la plus grande importance dans les élections haïtiennes. En 1994, l’ONU a adopté la résolution 940 qui, en vertu du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies, autorisait la création d’une force multinationale et l’utilisation de « tous les moyens nécessaires pour faciliter le départ d’Haïti des dirigeants militaires [...] et le prompt retour du Président légitimement élu » (S/RES/940/1994). Les soldats de la paix des Nations Unies n’ont pas quitté Haïti depuis lors. La mission actuelle, la MINUSTAH, est la sixième mission de l’ONU, présente en Haïti depuis 1993. Elle joue un rôle central dans les opérations électorales [14]. Depuis sa création en 2004, la MINUSTAH est chargée d’aider l’organisme de gestion électorale haïtien à organiser, à suivre et à conduire des élections locales, municipales, parlementaires et présidentielles libres et équitables. Plusieurs succès ont été enregistrés, notamment la création de centres de tabulation des votes (CTV) lors des élections de 2006 et 2009, dont le contrôle total a progressivement été transféré au CEP lors des élections de 2010, dans le cadre d’une stratégie de renforcement de l’appropriation nationale menée par le PNUD. Le soutien international a également contribué à améliorer l’utilisation des TIC dans le processus électoral [15]. Bien que d’importants défis de mise en œuvre demeurent, d’autres initiatives récentes, notamment l’augmentation du nombre de bureaux de vote (au moins deux par commune), la mise en place d’une sélection aléatoire de l’affectation des agents électoraux et le recrutement par voie de concours des membres du BED et du BEC, pourraient contribuer positivement aux élections futures. De même, le soutien de la MINUSTAH en matière de logistique et de sécurité électorale a joué un rôle crucial dans la protection des électeurs contre des élections notoirement violentes.
La présence de l’ONU a permis d’atténuer le conflit concernant la gestion financière des élections en l’absence d’organisme électoral permanent. L’État haïtien est chargé de garantir les ressources financières du CEP, [16] y compris les frais de fonctionnement et les salaires du personnel. Le financement des activités électorales provient de fonds spéciaux alloués par le ministère de l’Économie et des Finances et des contributions de donateurs internationaux. Le gouvernement haïtien s’engage à financer jusqu’à un tiers du budget électoral, qu’il s’agisse de dépenses en capital, d’équipements ou de personnel [17]. En termes de gestion financière, le CEP rend compte au ministère des Finances. Il est responsable de sa gestion devant la Cour supérieure des comptes et du contentieux administratif. Depuis 2005, le PNUD gère le fonds commun électoral, qui comprend l’achat de matériel électoral, la gestion de la paie du personnel électoral, le renforcement des capacités institutionnelles et la fourniture de conseillers techniques au CEP. Depuis les élections de 2010, le fonds commun du PNUD intègre une grande partie des programmes internationaux d’assistance électorale présents dans le pays en plus du budget du CEP. Le rôle du PNUD dans l’administration financière des élections haïtiennes a été dicté par une crise de confiance dans la gestion financière de l’OGE et la nature temporaire de l’institution.
Pérennité et dépendance vis-à-vis de l’aide extérieure
L’incapacité persistante à créer une commission permanente a engendré un grave déficit de mémoire institutionnelle et de rétention du personnel expérimenté. Entre les élections, le personnel administratif et les cadres restent en poste au niveau central du CTCEP. Tous les autres sont renvoyés, y compris les employés des bureaux régionaux, car le budget annuel ne permet pas de les rémunérer. Presque tous les employés du CTCEP sont recrutés sur une base contractuelle et sont licenciés à chaque changement de direction ou expiration du budget électoral. La mémoire institutionnelle et le développement du professionnalisme du personnel posent donc d’importants problèmes à l’administration électorale [18]. Du fait de l’absence de ressources consacrées à la formation professionnelle et de la sécurité minimale de l’emploi, il a été pratiquement impossible pour le CTCEP de recruter et de maintenir en poste des professionnels expérimentés ou de développer une mémoire institutionnelle. Ce problème a asphyxié les programmes de formation initiale et professionnelle prévus. Les employés partent souvent avant la fin de leur contrat, à la recherche d’emplois plus stables.
La nature temporaire de l’institution et le rapport qu’Haïti entretient avec les donateurs internationaux ont eu un impact profond sur la pérennité. L’ONU, l’OEA et d’autres prestataires d’assistance bilatéraux participent à l’organisation des élections haïtiennes depuis 1990. Au fil des ans, une dépendance vis-à-vis de l’aide et de l’expertise internationales s’est installée. La responsabilité très délicate de la sécurité électorale incombe presque exclusivement à la MINUSTAH. Il n’y a eu aucun plan systématique de transfert des compétences et des capacités dans des domaines techniques tels que l’utilisation des systèmes GPS pour le déploiement du matériel et du personnel [19]. Alors que la crise électorale se poursuit, il n’existe aucune stratégie de sortie ou vision à long terme visant à réduire la dépendance vis-à-vis de l’étranger en matière de soutien opérationnel dans tous les domaines [20]. La pérennité institutionnelle nécessite impérativement la création d’une institution permanente. Ce problème est sans doute exacerbé par la définition limitée du mandat de la MINUSTAH, qui concerne plus la prestation d’assistance aux scrutins et la gestion de crise que le renforcement du processus et de l’institution électorale, qui reste temporaire.
Égalité des sexes et gestion électorale
Haïti est l’un des pays les plus en retard en termes de participation des femmes aux fonctions élues et à la gestion électorale. Le projet de loi électorale révisée accentue dangereusement cette tendance. La représentation des femmes au Parlement atteint seulement 4,2 %, ce qui est l’un des dix scores les plus faibles au monde [21]. Ce chiffre a encore diminué, le mandat d’un certain nombre de députées et sénatrices étant arrivé à échéance. Une révision constitutionnelle de 2011 (publiée en juin 2012) a instauré un quota d’au moins 30 % afin de garantir la représentation des femmes à tous les niveaux de la vie publique. Dans sa version originale, la nouvelle loi électorale reprenait cette mesure et l’élargissait aux municipalités et autres conseils locaux (article 90). La notion de quota a cependant été retirée de la dernière version de la loi en mars 2014.
Le CTCEP, qui est chargé de l’application des dispositions constitutionnelles, n’a pas assumé ses responsabilités. Au contraire, il a confié aux partis politiques la charge de proposer des candidates. Les partis ne sont pas légalement tenus de le faire, aucun mécanisme d’application n’a été proposé et, pour la plupart des quotas de candidats, le nombre de femmes élues est généralement très inférieur au niveau escompté. L’incitation financière minime liée à la réalisation de l’objectif de 30 % se prête à une utilisation abusive. Au vu du système électoral majoritaire d’Haïti et du déséquilibre historique entre les sexes au sein du gouvernement, la réalisation du quota nécessitera sans doute la mise en place de sièges réservés.
En 2013, quatre des neuf membres du CTCEP étaient des femmes. L’OGE ne conserve aucune donnée sur l’égalité interne du personnel. Il est donc impossible de savoir combien de femmes participent aux processus électoraux en tant que membres du CTCEP ou agents électoraux. Les données de 2010 relatives aux CTV montrent une participation positive des femmes. Malheureusement, celles-ci sont cantonnées à certains secteurs et pratiquement absentes d’autres fonctions telles que la technologie (0 %), les agents de sécurité du CEP (0 %) ou les avocats (10 %) [22]. Le CTCEP ne ventile pas les données d’inscription des électeurs et de participation électorale par sexe. Il n’existe donc aucune information sur la participation des femmes dans ces domaines. En vertu de la nouvelle loi de 2014, le BED et le BEC doivent embaucher au moins une femme, au poste de leur choix (article 9).
[23] L’OGE est chargé de prévenir et de dénoncer les actes d’intimidation et de violence sexistes. Le manque de confiance dans le processus et la corruption présumée contribuent également à l’idée selon laquelle la gestion électorale et la politique ne sont pas des affaires de femmes.
[24]
Rapports avec les autres parties prenantes
En termes de rapports avec les médias et de communication externe, le CTCEP dispose d’un directeur de la communication, mais pas de services de relations publiques en tant que tels. En dehors des points presse hebdomadaires et des communiqués de presse publiés en période électorale, il n’existe aucun programme spécifique ou plan de sensibilisation des médias [25]. La communication externe est problématique, notamment en raison du manque de clarté de la hiérarchie et de la participation des membres du CTCEP aux opérations quotidiennes. Le manque de cohérence des messages, les rapports inégaux avec les médias et la difficulté d’obtenir des entretiens ont contribué à un manque de transparence, à une certaine confusion et à une certaine méfiance [26]. Il est essentiel de réformer la communication externe du CTCEP afin d’améliorer la crédibilité et la transparence du processus auprès des partis politiques et de transformer les médias en alliés informant le public sur le mandat et les activités du Conseil, mais également les électeurs sur le processus électoral et les opérations de vote [27].
Le CTCEP n’entretient pas de rapport défini avec la société civile haïtienne, bien qu’il compte beaucoup sur les organisations nationales et internationales pour assurer l’information et l’éducation civiques et des électeurs. Les campagnes menées par le CTCEP ont eu tendance à être tardives et à se limiter à des affiches d’incitation au vote précisant la date du scrutin. Il est cependant indispensable d’adapter l’éducation des électeurs, car le manque de compréhension du processus électoral alimente les rumeurs et la méfiance [28] . Des organisations internationales telles que l’IFES se sont efforcées de résoudre ce problème en adaptant les stratégies de communication aux besoins d’information des électeurs. Néanmoins, la participation électorale est exceptionnellement faible : seulement 27 % des électeurs ont voté lors des élections présidentielles de 2010. Il s’agit du niveau le plus bas observé sur le continent américain, y compris Haïti, depuis plus de 60 ans [29]. Le taux d’électeurs dont les votes ont été comptabilisés est encore plus faible (22,9 %). Le taux de privation du droit de vote (estimé à 50 %) a été particulièrement élevé au sein des populations les plus touchées par le séisme [30]. Les Haïtiens font état de nombreux obstacles à la participation aux élections, notamment l’insécurité et l’intimidation, la fraude et la corruption, le manque d’information et de transparence, le manque de communication avec les parties prenantes, la gestion controversée du processus électoral, des problèmes organisationnels et techniques, l’accès limité ou inexistant des électeurs à l’information et les lacunes de la campagne de sensibilisation des électeurs [31].
Conclusion
L’administration électorale haïtienne est confrontée à d’importants obstacles en termes de crédibilité du processus électoral. La première étape vers la résolution de la crise actuelle sera la création d’un Conseil électoral permanent, mandaté par la Constitution et autonome sur les plans financier et administratif. Il convient de garantir la neutralité de la résolution des contentieux électoraux, de mettre en place une stratégie de sortie et d’assurer le transfert des capacités professionnelles afin de mettre un terme à la dépendance de longue date vis-à-vis des acteurs externes en ce qui concerne les activités électorales. Afin de répondre à ses obligations constitutionnelles et internationales, le Conseil électoral permanent devra inverser la tendance en matière de participation politique des femmes. Une gestion améliorée de la communication externe et une éducation adaptée des électeurs pourront renforcer la transparence et la confiance dans le processus. Alors qu’Haïti surmonte les difficultés de ces dernières années, la crédibilité de l’administration électorale sera un facteur clé en vue de la construction d’un avenir meilleur.
Notes
[1] Lagueny 2011.
[2] Opont 2013.
[3] Rioux and Lagueny 2009; Rioux 2013.
[4] Opont 2013; Lagueny 2013; Kingsley 2013.
[5] Ibid.
[6] Rioux 2013; Descartes 2013; Opont 2013; Lagueny 2013.
[7] Richards 2013; Opont 2013.
[8] Sentinel 2012.
[9] Ibid.; Lagueny 2013.
[10] Rioux 2013.
[11] Lagueny and Dérose 2010.
[12] Ibid.
[13] Mobekk 2001; MINUSTAH; Lagueny 2013.
[14] Il convient de noter la distinction entre le CEP (institution) et le CTCEP (collège transitoire actuellement en charge de l’institution).
[15] Opont 2013.
[16]Depuis 1993, la seule période pendant laquelle aucune mission de l’ONU n’a été présente dans le pays s’étend de mars 2001 à février 2004. Aucune élection n’a été organisée pendant cette période (Lagueny 2013).
[17] Opont 2013.
[18] Richards 2013; Lagueny 2013; Gonzalez, Davila and Opont 2013.
[19] Opont 2013.
[20] Lagueny 2013.
[21] IPU no date.
[22] UNDP 2013.
[23] Ibid.
[24] Ibid.
[25] Opont 2013.
[26] Lagueny 2011, 2013.
[27] Ibid. Il convient de noter que le CTCEP n’est pas impliqué dans l’accès des partis politiques aux médias publics, qui est géré par le Conseil national des télécommunications.
[28] Ibid.; Kingsley 2013.
[29] Weisbrot and Johnson 2011.
[30] Ibid.
[31] Lagueny 2011.
References
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