La qualité de la gestion électorale, spécialement dans les pays où la démocratie est émergente ou nouvellement restaurée, détermine d’une manière significative la crédibilité des processus électoraux. À moins que toutes les parties prenantes, telles que les partis politiques, les observateurs et le public en général, ne soient convaincues que l’organisme de gestion électorale (OGE) est adéquatement protégé du contrôle politique et de l’influence du parti gouvernant et que ses actions sont motivées par l’impartialité et le professionnalisme, elles se poseront des questions sur ses décisions ou même sur la légitimité des résultats des élections. Cela risquerait de susciter la déception et la méfiance vis-à-vis de l’OGE, ce qui pourrait faire naître la violence et l’instabilité politique.
Malheureusement, les questions relatives à la structuration de la gestion électorale (où, quand et pourquoi) n’ont pas fait l’objet de recherches rigoureuses et approfondies dans les domaines de la science politique ou de l’administration publique. Les rares fois où ces questions ont été traitées, l’analyse s’est surtout concentrée sur les aspects légaux des systèmes électoraux ou sur la répartition des sièges, la dimension socioculturelle des campagnes électorales, les mécanismes de l’inscription des électeurs, le scrutin, le décompte des votes et l’utilisation de la technologie dans les élections.
Si le concept de suffrage universel est relativement nouveau, la gestion électorale constitue un élément essentiel de tout processus démocratique, et existe, sous une forme ou une autre, depuis plus de deux mille cinq cents ans. Dans les assemblées athéniennes, quelqu’un avait la responsabilité de compter les mains et de faire rapport des résultats. Au fil des siècles, alors que l’on considérait les résultats des élections comme importants à cause de leur capacité à légitimer l’activité gouvernementale, on accordait peu d’attention, peu de personnel et, dans le meilleur des cas, peu de ressources à la gestion des élections.
Une élection ou une consultation démocratique directe est souvent l’une des opérations les plus vastes qu’un pays ait à organiser. C’est une tâche administrative très complexe, réalisée dans une atmosphère politiquement chargée. Pourtant, l’organisation et la conduite d’élections démocratiques pluripartites suscitaient traditionnellement peu d’intérêt auprès du public et des médias. L’administration de beaucoup de scrutins est passée en grande partie inaperçue, excepté auprès de ceux qui étaient directement concernés, bien que les partis politiques perdants aient souvent contesté la façon dont l’élection avait été conduite, ainsi que ses résultats. Aux environs de 1989, les choses ont commencé à changer. La conduite d’élections démocratiques a commencé à être perçue et décrite comme un élément central de processus destinés à sortir de l’autoritarisme ou à régler des conflits passés. Elle a commencé à être surveillée de plus près par les partis politiques, les médias ainsi que les observateurs membres d’importantes missions électorales internationales et, de plus en plus, d’organisations civiles nationales.
Les élections et leur gestion ont, comme d’autres services publics, connu un développement plus important au cours des 25 dernières années que durant les 250 années précédentes. L’accélération du changement est allée de pair avec les progrès de l’automatisation, la réémergence de gouvernements démocratiques dans beaucoup de pays latino-américains dans les années 1980, la chute du mur de Berlin et l’éclatement de l’Union soviétique. Ces événements ont éveillé l’intérêt de la communauté internationale pour les élections démocratiques et ont entraîné son implication rapide et parfois profonde dans la fourniture d’assistance électorale. À commencer par l’engagement des Nations Unies dans la gestion et l’encadrement des arrangements d’Afrique du Sud pour les élections en Namibie en 1989 dans le cadre de la décolonisation, puis au Cambodge (1994), au Timor-Oriental (2001), en Afghanistan (2004) et en Irak (2005), de nombreuses agences d’assistance bilatérale, d’organisations internationales, d’organismes non gouvernementaux (ONG) et d’autres sont devenus des participants actifs dans le domaine de l’assistance électorale.
L’intérêt du public s’est parfois concentré sur la réforme des systèmes électoraux pour rehausser le niveau de représentation, mais pendant les deux dernières décennies, on a constaté à travers le monde un engagement à réformer l’administration électorale, mis de l’avant par des responsables politiques et électoraux ainsi que par le regard critique des médias et des observateurs. Les réformes apportées à l’appareil chargé d’organiser et de conduire des scrutins ont été tout aussi importantes. Parmi ces réformes, on peut citer l’établissement dans beaucoup de pays d’organismes de gestion électorale autonomes dotés d’une large gamme de pouvoirs et de responsabilités; et l’amélioration de l’organisation des élections afin de fournir des services électoraux plus efficaces et de plus grande qualité, tout en rehaussant le niveau de liberté et d’équité des scrutins.
La gestion des élections étant plus surveillée, elle est devenue plus professionnelle. Les gestionnaires des élections ont appris par l’expérience (la leur et celle des organisations non électorales) et ont noué des liens et créé des réseaux à travers lesquels des idées et des pratiques sont partagées et les normes électorales sont rehaussées. Il y a différentes approches organisationnelles dans la conception et la conduite des élections, mais beaucoup de questions et de thèmes sont communs à tous les administrateurs électoraux.
L’amélioration dans la gestion électorale est évidente lorsqu’on songe à la manière dont les élections étaient dirigées avant 1990. Il existe maintenant des exemples d’élections bien administrées qui reconnaissent la nécessité d’une approche professionnelle et orientée « service ». La volonté d’améliorer la gestion des élections est aussi démontrée par la coopération internationale accrue à travers des regroupements d’OGE du monde entier. Ces organisations encouragent la coopération et le développement professionnel chez les OGE et offrent des programmes de formation, d’examen et d’accréditation destinés aux personnes qui travaillent sur le terrain.
Parmi les tendances récentes en gestion électorale, on constate que les OGE indépendants permanents constituent la forme préférée d’OGE dans pratiquement tous les pays qui ont entrepris des réformes électorales au cours des dernières années, et que le nouveau millénaire a vu l’adoption de normes régionales et mondiales de démocratie électorale par beaucoup de pays, y compris des démocraties naissantes ou en transition. Beaucoup de pays, surtout en Afrique, ont adopté des mécanismes d’évaluation par les pairs pour démontrer leur engagement envers la démocratie, la suprématie du droit et la bonne gouvernance. La démocratie électorale constitue un élément essentiel de cet engagement.
La gestion électorale suscitait jadis peu d’intérêt, tant au niveau local que national ou international. Mais cela a changé et continuera de changer à mesure que l’importance de la démocratie continuera à être démontrée.
Suite : Principes directeurs de la gestion électorale