Considérations majeures
Quel type d'organisme électoral une démocratie doit-elle envisager? C'est une question que se poseront les politiciens, les législateurs et les universitaires qui se préoccupent de l'essor de toute nouvelle démocratie. C'est également une question qui intéressera les personnes qui visent à améliorer la gestion du processus électoral d'une démocratie établie. Les options sont effectivement nombreuses et peuvent inclure les suivantes :
- un organisme temporaire;
- un organisme permanent;
- un organisme indépendant, temporaire ou permanent;
- un organisme partisan, temporaire ou permanent;
- un organisme mixte partisan ou non partisan;
- un tribunal électoral spécial;
- un ministère du gouvernement;
- une administration électorale décentralisée.
En tout premier lieu, l'attention doit se porter sur la Constitution ou sur la loi électorale du pays, que les législateurs devront choisir comme véhicule par lequel ils définiront les objectifs de la démocratie. Nous présumons que ces véhicules existent, ce qui pourrait ne pas être le cas. Par exemple, la loi électorale de la Roumanie prévoit la création, dans les quelques jours qui suivent le déclenchement de l'élection, d'un bureau électoral central temporaire. En Corée du Sud par contre, la loi prévoit la création d'une commission dont les membres sont nommés pour une période de six ans. En Albanie, la loi prévoyait au départ la création d'une commission électorale centrale temporaire mais, à la suite des pressions de la part de la communauté internationale, la loi a été modifiée et on y a établi un organisme permanent.
Il faut évidemment considérer certaines autres conditions locales, comme la situation économique du pays. Celui-ci peut-il supporter un organisme électoral permanent ou doit-il se contenter d'un noyau de personnes affectées sur une base temporaire pour accomplir essentiellement les mêmes tâches jusqu'à ce que les conditions économiques permettent de les nommer en permanence? Peut-on confier à un autre organisme gouvernemental la responsabilité d'administrer l'élection en plus de ses responsabilités courantes? Est-ce possible pour des bailleurs de fonds étrangers de contribuer à la création d'un organisme électoral? Voilà toutes des questions essentielles. Quelle que soit la décision, l'organisme pour lequel on optera devra assurer l'intégrité du processus électoral. Nous examinons plus en détail dans les paragraphes qui suivent les différents types d'organismes déjà mentionnés.
Organisme temporaire
La création d'un organisme électoral pour une courte durée comporte des avantages financiers évidents. Les dépenses reliées à la location de locaux, à l'embauche du personnel et à l'utilisation d'équipement pour une période de temps déterminée étant limitées, les organismes de l'extérieur pourraient être plus enclins à contribuer financièrement. En outre, le gouvernement en place pourrait être plus réceptif aux demandes budgétaires d'un tel organisme.
Un organisme temporaire comporte également des avantages sur le plan organisationnel. D'autres organismes du gouvernement, comme la Fonction publique ou le ministère des finances, pourraient être en mesure de fournir du personnel spécialisé en détachement. S'il est nécessaire d'embaucher du personnel, il est plus facile d'établir des contrats temporaires et les employés temporaires sont habitués à s'adapter plus facilement à leurs fonctions. Même des gouvernements étrangers peuvent être en mesure d'affecter des spécialistes pour des périodes courtes, mais dans ce cas, il convient d'assurer un équilibre entre les nationalités afin d'éviter que l'une d'entre elles soit prédominante. Un autre avantage possible d'un organisme temporaire est que les délais serrés d'une période électorale restreinte peuvent motiver les employés à atteindre une plus grande efficacité étant donné qu'ils sont conscients qu'ils n'auront à travailler de longues heures que pour un temps limité. Un organisme temporaire est normalement plus approprié pour un petit pays, bien qu'il risque d'être plus dépendant de l'autorité qui l'a nommé.
Cela dit, il faut également être conscient des faiblesses que peut présenter le concept d'organisme temporaire. L'aide monétaire étrangère est fréquemment consentie à la hâte et peut aboutir à la mauvaise utilisation des ressources. On entend souvent dire qu'il est facile de reconnaître qu'une élection est imminente dans un pays en constatant l'arrivée de nouvelles pièces d'équipement technologique de pointe comme des ordinateurs, des imprimantes ou des photocopieurs. Un organisme temporaire peut aussi souffrir d'une approche incohérente de l'administration électorale, de l'absence ou de la perte de mémoire corporative et du manque de continuité dans la formation et de professionnalisme dans l'accomplissement des tâches. De plus, les élections multipartites modernes exigent que l'administration électorale soit en mesure de continuellement améliorer le processus électoral, ce qu'un organisme temporaire ne favorise pas. Les gestionnaires des organismes électoraux temporaires signalent qu'ils ne disposent pas suffisamment de temps pour structurer leur organisation interne (trouver et installer des locaux convenables, recruter le personnel et élaborer des procédures opérationnelles) et en même temps assurer le déroulement de l'élection.
Organisme permanent
Les avantages d'un organisme électoral national permanent doivent être évalués en regard de ses incidences financières accrues. Les membres d'un tel organisme peuvent contribuer volontairement au processus démocratique s'ils sont libérés de leurs fonctions courantes. Les coûts associés à une telle entreprise devront être scrupuleusement budgétisés et respectés, car le fardeau financier pour les locaux et le personnel permanents de même que pour les autres postes de dépenses seront plus considérables que pour un organisme temporaire.
Un organisme permanent offre évidemment des avantages sur le plan organisationnel. Il permet de structurer plus adéquatement les tâches de l'organisme et de son personnel, d'assumer un plus vaste éventail de tâches et de pouvoirs et d'atteindre un degré d'efficacité plus élevé. Il peut assumer, entre autres, la responsabilité de l'établissement et du maintien du registre électoral et du registre civil, de l'éducation populaire et de la réglementation du financement des partis politiques. L'organisme permanent devra se doter d'un plan de travail adéquat et le réviser à intervalles réguliers, et il devra rendre compte au parlement de façon régulière sous forme de rapports et de budgets annuels.
Organisme indépendant
La structure des organismes indépendants les protège de toute influence de la part des individus, des groupes ou des autres organismes qui pourraient profiter du résultat d'une élection. Ils sont constitués de personnes qui jouissent du respect de la communauté, normalement nommés par le chef d'État ou par le parlement avec l'assentiment de tous les partis qui y sont représentés, pour une période de temps déterminée pouvant aller de trois à sept ans. Ce processus de nomination n'est pas accepté d'emblée par tous les intéressés parce que le chef d'État ou du gouvernement est fréquemment le chef d'un parti politique puissant. Dans ces cas, on a souvent recours à la pratique de nommer également au sein de l'organisme des représentants des partis de l'opposition. On devrait faire en sorte que les nominations ne prennent pas fin en même temps qu'une période électorale.
Les personnes nommées comme membres de l'organisme sont généralement des universitaires, des juges ou des membres en vue et respectées de la communauté. La loi qui prévoit leur nomination exige qu'elles n'entretiennent aucun rapport avec un parti politique, afin de prévenir toute possibilité d'ingérence et de garantir leur autonomie. Elles doivent faire preuve de leadership pour conserver cette autonomie. La présidence de l'organisme est souvent confiée à un juge de haute instance, avec l'effet souhaité mais pas nécessairement assuré, de prévenir l'ingérence du gouvernement ou des partis de l'opposition. Il est surtout important que l'électorat perçoive l'organisme électoral comme étant indépendant.
Un élément important en vue de garantir l'indépendance de l'organisme est qu'il soit maître de son budget. La meilleure solution à cet égard est que le législateur soit légalement tenu d'approuver le budget soumis par l'organisme, sous réserve seulement d'une vérification postélectorale (voir Administration budgétaire indépendante).
Malgré toutes ces mesures, l'organisme électoral peut parfois être soupçonné de partisanerie ou être obligé d'avoir recours à l'appui d'un parti pour obtenir les autorisations requises, risquant ainsi d'être considéré par l'électorat comme étant impuissant ou inefficace.
Organisme partisan
Dans une démocratie multipartite nouvelle ou en voie de développement, il peut être préférable d'opter pour un organisme partisan au sein duquel tous les partis politiques qui briguent les suffrages sont représentés équitablement. L'un des buts d'un organisme partisan est de permettre aux partis de se surveiller mutuellement. Mais cette pratique peut être problématique, surtout dans les nouvelles démocraties, lorsque les partis en lice sont trop nombreux. Ce fut le cas de la Namibie en 1989 et plus tard de la Bulgarie. Il devient impraticable d'assurer une représentation équitable à moins que des coalitions soient formées. Pour sa part, le conseil électoral du Venezuela comptait à un certain moment des représentants des partis politiques principaux et des représentants de deux groupes de partis marginaux. Dans tous les cas, la loi devrait dicter la composition politique d'un organisme partisan.
Ce type d'organisme offre des avantages dont certains peuvent faire réaliser des économies. Les coûts reliés aux salaires peuvent être réduits si les représentants politiques acceptent d'agir à titre gracieux. Leur engagement envers l'organisme sera de protéger les intérêts de leur parti et chacun aura intérêt à développer l'efficacité de l'organisme. Cette approche permet également de tirer avantage des contacts politiques de certains membres, surtout s'ils représentent le parti au pouvoir. De plus, les électeurs considèreront l'organisme comme plus représentatif de leur pays.
Un organisme de ce genre comporte bien sûr certains inconvénients. Il n'est pas assuré que toutes les personnes nommées possèderont toutes les aptitudes souhaitées et certaines d'entre elles auront probablement d'autres engagements. Certains prétendent que les membres auront trop à coeur les intérêts de leur parti et pourraient se liguer en coalitions informelles pour s'opposer à de bonnes suggestions proposées par des partis individuels. Certains membres ont tendance à suivre les directives de leur parti et vont souvent aller jusqu'à boycotter les réunions de l'organisme électoral. Les partis peuvent remplacer fréquemment leurs représentants, empêchant le bon fonctionnement de l'organisme. Le danger de collusion entre les principaux partis dans le but d'isoler les partis marginaux du processus est toujours présent.
Organisme mixte partisan/non partisan
Il est toujours possible de former un organisme électoral composé de représentants de partis politiques et de personnes indépendantes. Certains prétendent même qu'il s'agit du meilleur compromis. Dans certains pays qui ont recours à ce genre d'organisme, les membres représentant des partis politiques ont droit de participation mais ne peuvent pas voter sur les propositions.
Tribunal électoral spécial
Dans certains pays, comme en Roumanie et au Pakistan, des juges sont nommés pour siéger au sein de l'organisme électoral et sont responsables du processus électoral. En principe, cette pratique devrait contribuer à assurer l'autonomie de l'organisme, mais elle peut avoir un effet inverse si le pouvoir judiciaire du pays n'est pas lui-même perçu comme étant indépendant. Au Brésil, les élections sont administrées par un tribunal spécial dont les membres proviennent du système judiciaire et de la profession légale. Les membres du tribunal électoral local proviennent du système judiciaire tandis qu'un personnel professionnel permanent assure le fonctionnement administratif sous la direction d'un secrétaire général.
Ministère du gouvernement
Selon cette approche, aucun organisme électoral n'est créé, ni temporaire ni permanent. Les élections sont administrées par un ministère du gouvernement, fréquemment le ministère de l'Intérieur. Les fonctionnaires du ministère cumulent les tâches de l'organisation des élections normalement effectuées par le personnel de l'organisme électoral dans d'autres pays et les plaintes ou les contestations sont normalement renvoyées au tribunal. Ce genre de système offre les avantages suivants :
- le ministère dispose d'un personnel administratif expérimenté, détaché de ses tâches courantes en temps d'élection;
- il est possible de confier certaines activités électorales, comme par exemple l'inscription des électeurs et l'émission des cartes d'identité, à un organisme du gouvernement chargé de réunir les données démographiques;
- les fonctionnaires sont habitués à la bureaucratie et en connaissent le fonctionnement, ce qui peut leur permettre d'être plus efficaces et de réaliser des économies.
Ce type d'organisme est en vigueur en Algérie, en Belgique, au Danemark, en Hongrie, en Côte-d'Ivoire et au Sénégal.
Administration électorale décentralisée
Selon le principe d'administration électorale décentralisée, des organismes locaux administrent les élections au nom du pouvoir central. Un système semblable est en vigueur au Royaume-Uni pour toutes les élections et en Nouvelle-Zélande pour les élections locales et régionales. L'Irlande et la Suède ont des systèmes comparables.
Autres types d'organismes électoraux
Dans certains pays, le système en place peut constituer un amalgame des options énumérées plus haut. Par exemple, à l'intérieur d'une double structure, l'Institut électoral fédéral du Mexique est responsable de l'administration électorale alors que le tribunal électoral traite des plaintes sous toutes les formes. En Argentine, le ministère de l'Intérieur s'occupe de l'administration électorale et le tribunal électoral national est chargé de rendre les décisions de politique et d'entendre les plaintes. D'autre part, au Canada, un directeur général des élections (DGE) nommé par la Chambre des communes dirige l'organisme appelé Élections Canada. Lors de sa nomination, le DGE est privé de son droit de vote dans le but d'élever sa charge au-dessus des intérêts politiques et de doter son poste des caractéristiques d'indépendance et d'impartialité. Un gestionnaire électoral est nommé pour chacune des 295 circonscriptions électorales. Élections Canada dispose de quelque 60 employés permanents affectés aux opérations électorales, à la technologie informatique, aux avis juridiques et au financement des campagnes, de même qu'un arbitre en matière de radiodiffusion électorale.